Sailing to Philadelphia

Chapitre 8

"Alors, où en est ma fille chérie, Alexandra ?

-J'ai bientôt fini, Cirillo !"

La maquilleuse aspergeait une dernière fois de laque l'épais chignon tombant qu'elle avait réalisé avec la chevelure brune de son sujet de travail qui prenait son mal en patience. Assise devant la coiffeuse modeste de sa chambre, Lena observa l'intrusion de son père par le miroir et en la voyant, ce dernier se frotta les mains, jubilant d'anticipation. Les yeux noirs de Lena roulèrent d'exaspération dans leur orbite, et ce sous un eye-liner tracé à la perfection. Elle était effectivement fin prête à l'opération de ce soir et ça ne l'enchantait pour autant pas particulièrement, bien qu'elle y avait consenti. Et y avait participé. La danseuse avait après tout dérobé la longue robe de soirée en satin noir au cabaret dans leurs penderies interminables où s'entassaient les tenues des artistes. Elle avait sélectionné de mauvaise grâce l'une des plus ostentatoires et tapes à l'œil, avec le large bijou en cristal qui pendait au bout de son décolleté ainsi que son dos-nu généreux ; elle savait après tout que Cirillo Gonzalez l'attendait au tournant et qu'il l'aurait renvoyée d'où elle venait si elle était arrivée avec une robe sobre et basique.

"Je ne sais même pas jouer...

-On n'a pas d'argent, Lena, rit gaiement Cirillo en posant une main sur l'épaule dénudée de sa fille, avec quoi veux-tu jouer, de toute façon ? A part avec les pauvres cœurs environnants, je veux dire..."

Son père eut un rire un peu trop content de lui-même et Lena lui jeta un regard assassin. Qu'il nota avec un énième rire cajoleur :

"Allons, allons, ma fille, c'est de bonne guerre ! Nikolaï Bolkanski ne doit pas être le dernier à briser des cœurs !

-Papa, je veux bien vous aider à former un partenariat avec lui mais... vraiment, ce plan, je ne le sens pas, fit-elle, tu es sûr de toi ?

-Tu ne connais pas les hommes, ma petite chérie, ce sont des créatures simplissimes, en vérité. De l'argent, du pouvoir et la plus jolie femme possible, voilà ce qui les intéresse.

-Toi, y compris ?

-Oh ! Lena, évidemment que non ! Pas papa ! promit-il en embrassant la joue fardée de sa cadette, tous les autres !"

Fortement amusée par tout ceci, Alexandra se répandait en rire tout en parfumant le cou de Lena qui, maintenant habituée à ce genre de traitement, ignorait tout le processus. Celle-ci était bien trop occupée à garder une mine critique sur son paternel que rien, ce soir, ne semblait en capacité d'ébranler. Il s'était vêtu du plus beau costard qui était en sa possession et un nœud-papillon bordeaux parachevait le tout. Cirillo Gonzalez était en vérité un très bel homme qui portait très bien ses cinquante-cinq ans. A cette pensée, Lena proposa :

"Et pourquoi n'irais-tu pas séduire la mère Bolkanski ? Il paraît que son mari est en prison.

-Chut, hija ! Pense à ta mère tout là-haut, la sermonna-t-il.

-Dis juste que tu préfères que ce soit moi qui fasse le sale boulot...

-Tout de suite les grands mots, ma fille. Ne veux-tu pas te venger de ce fils de pute de Hayden ?

-C'est pas pour ça que j'ai accepté de vous aider, Papa ! Si je vous aide, c'est parce que je préfère encore celle-ci à toutes vos autres idées !"

Allan et son père étaient les pires forcenés qui soient. Ils voulaient faire fortune à Germantown et rien ne pouvait les en dissuader, ils étaient convaincus que, d'une manière ou d'une autre, leurs efforts payeraient un jour et qu'ils triompheraient. Des Irlandais, des Hayden, de tout Philly et du reste des Etats-Unis. Lena savait très bien que si elle persistait à refuser cette idée farfelue d'user de ses propres charmes sur l'héritier Bolkanski - et ce, dans la maison de jeux illégaux que lui et sa famille possédaient-, ils concevraient un plan encore plus fantasque. Ceci étant dit, ce n'était pas la seule raison qui l'avait convaincue d'accepter.