J'aimerai garder le meilleur de ceux qu'on était ☁️

XLVI.

Blotti dans les bras d'Héléna, il ne pourrait pas se sentir mieux qu'en ce moment. Il entend son souffle régulier, ça le rassure, et en bougeant légèrement et en remontant sa tête, il peut même entendre son coeur battre, et qu'est-ce qu'il aime ce son. C'est bête, mais ça le berce. Ça lui prouve qu'elle est bien là, avec lui, vivante, apaisée. En tournant sa tête vers la droite, Pierre voit sa fille, leur fille, endormie aussi paisiblement que sa mère, serrant fort contre elle petite une tarte au citron en peluche. La scène fait sourire le jeune homme, ça l'amuse qu'Héléna aime tellement ce dessert au point que cela devienne le doudou de sa fille. Il vient de se réveiller, alors qu'il est bien trop tôt, mais il en profite quelques minutes pour admirer celles qu'il considère comme les deux femmes de sa vie, bien qu'il ne l'avouera pas avant longtemps, probablement par fierté...  Quand il les voit comme ça, toutes les deux à ses côtés, il aimerait que rien ne change. Ça ne fait que quelques jours à peine qu'il a vraiment retrouvé Héléna, sa Héléna, et tout juste quelques heures qu'ils sont rien que tous les trois, mais Pierre aimerait que tout ça soit éternel.
Il y a quelques mois il n'aurait jamais imaginé qu'être père à son âge, alors qu'il était en train de réaliser son rêve, lui plairait. Lors d'un dimanche après-midi au château fin novembre, au détour d'une conversation avec Héléna et Julien, ce dernier avait révélé souhaiter plus tard vivre une vie « classique ». En effet, il avait révélé à ses deux camarades avoir envie de vivre de la musique, de sa passion, et rentrer le soir retrouver son gosse et sa femme. Ce à quoi Pierre avait répondu en riant, que lui ce n'était pas du tout ce dont il rêvait. Il ne souhaitait pas avoir d'enfants, simplement trouver l'amour comme la plupart des gens, mais pas fonder une famille. Et quand Héléna lui avait dit que ça viendrait sûrement plus tard, que c'était normal qu'il n'est pas ce souhait à vingt-et-un an, Pierre lui avait affirmé qu'il pensait qu'il ne voudrait jamais vraiment avoir d'enfants, que sa relation avec son père était complexe et qu'il ne voulait pas l'être à son tour. Il souhaitait plutôt être artiste, vivre de la musique, ne pas vivre une vie ordinaire accompagnée d'une routine, rester simple, vivre sa vie tranquillement, mais garder sa garder sa liberté. Il se souvient qu'Héléna avait un peu rit jaune, maintenant il sait pourquoi, et il a presque honte d'avoir dit ça devant elle. Elle non plus elle ne rêvait pas d'une petite vie classique comme Julien, encore une fois elle avait un point commun avec Pierre, cette manie de ne pas vouloir être emprisonné dans une routine, d'être libre. Évidemment, avoir un enfant à dix-huit ans n'était pas vraiment synonyme de liberté, mais elle avait réussit avec tout le courage et la détermination que lui véhiculaient sa fille justement, à choisir de vivre une vie unique et sans banalité, malgré sa maternité précoce. Aujourd'hui, Pierre se dit que, finalement, contrairement à ce qu'il a pu penser au premier abord, Héléna a fait les meilleurs choix de vie possibles, des choix qui lui correspondent vraiment. Lui, quand il a appris qu'elle était devenue mère si jeune, il s'est dit que malgré toute l'estime qu'il a pour elle, elle était folle. Quelle idée de se lancer dans une aventure pareil avec un enfant de moins de quatre ans ? Il s'en veut un peu de ne pas être allé vers elle, de ne pas avoir essayé de lui monter son soutien et de parler avec elle par rapport à tout ça. Même s'il ne pouvait pas savoir, il aurait dû s'en douter. Et il n'aurait pas dû répondre en riant à Julien, même s'il pensait sa réponse, il aurait dû faire plus attention car malgré tout Héléna n'a pas réellement choisi cette vie. Et malgré ce qu'elle dit et laisse paraître, il lui arrive souvent de pleurer dans le noir quand sa fille n'est pas là, en se demandant ce que serait sa vie s'ils n'avaient pas oublié le préservatif ce soir-là sur cette plage, en se demandant ce qui se serait passé si, plutôt que d'aller à l'échographie elle avait subi une petite opération. Puis elle se ressaisit en s'interdisant de penser à sa fille comme ça, qu'elle l'aime plus que tout au monde, avant que ses larmes ne redoublent quand elle se persuade être une mauvaise mère et ne pas être à la hauteur de Rosalie.
Lui, il repense souvent au dernier message qu'elle lui a envoyé, particulièrement depuis qu'il en connaît la raison. Avant, il y repensait avec amertume, une pointe de colère et d'injustice aussi. Il a toujours considéré qu'elle était trop bien pour lui, mais ce jour-là il a trouvé profondément injuste qu'une fille comme elle lui ai donné tant d'amour et d'espoir avant de rompre de cette cruelle façon. Il était aussi évidemment rongé par la colère. La colère d'avoir perdu une jeune femme qu'il aimait mille fois plus fort que ce qu'il pensait possible, et la colère de ne pas comprendre pourquoi elle avait fait ça alors qu'ils étaient si heureux. Maintenant, il y repense avec la tristesse de ne pas avoir cherché à comprendre et de l'avoir laissée seule dans une situation si difficile. Il s'en veut presque de ne pas avoir insisté, de ne pas avoir tout fait pour comprendre et ainsi découvrir la vérité. Il se torture l'esprit tant et si bien que ce soir, alors qu'ils viennent de revivre pour la première fois depuis le soir de la conception de Rosalie un moment pareil, autant en terme de lieu que d'intensité, ces pensées tourner en boucle dans sa tête.