J'aimerai garder le meilleur de ceux qu'on était ☁️

LIII.

À l'accueil il demande timidement le numéro de la chambre de Rosalie Bailly, pas encore très à l'aise à exercer son rôle dans les moments importants, et inquiet que la jeune femme de l'accueil lui refuse l'accès, puisque sur le papier il n'a aucun lien avec cette famille. Par chance, il a seulement besoin d'expliquer que la petite porte le nom de sa mère pour des raisons personnelles mais que cela risque de changer sous peu, et la secrétaire lui donne le numéro de chambre. Pierre montre quand même une photo de sa fille à l'appui pour prouver leur ressemblance, certainement plus par fierté que par nécessité d'ailleurs, mais cela fait sourire la jeune femme qui lui indique la direction à prendre pour retrouver sa partenaire et sa fille. En arrivant devant la chambre numéro deux-cent-quarante-sept, il voit Brigitte endormie sur une chaise, le dos appuyé contre le mur, son châle beige sur les épaules, sa tête tombante sur son épaule gauche, une peluche appartenant à sa petite-fille entre les mains, et ses traits tirés de fatigue par cette journée éprouvante à veiller l'enfant malade. Elle a l'air apaisée, profondément endormie, Pierre n'ose alors pas la réveiller et préfère frapper à la porte, même s'il sait qu'il va devoir se confronter à la foudre dans les yeux océans d'Héléna. Il entend sa voix plus sèche qu'à l'accoutumée l'autoriser à entrer dans la chambre, et son regard lui donne presque envie de tourner les talons. Elle a le regard vide, froid. Elle a pleuré mais dégage tout sauf de la vulnérabilité, plutôt de la colère, et Pierre sait que c'est pour lui. Il ne l'a jamais vue dans un état pareil, il sait que quand ça concerne sa fille elle peut se mettre dans tous tes ses états et aujourd'hui est un bon exemple. Avant elle était toujours calme, pleine de douceur, même quand quelque chose n'allait pas ou qu'elle était énervée, le ton ne montait que très rarement et ses yeux n'exprimaient pas le quart de colère qu'ils montrent à présent. Il sait que la maternité change une femme, change ses priorités et son instinct ou son comportement, mais jamais il ne se l'était imaginé avec Héléna. Au fond, il ne s'est pas encore vraiment habitué au fait que son amour de jeunesse, une jeune fille solaire, pétillante, pleine de vie, brillante, drôle et fêtarde soit aujourd'hui devenue une femme, une maman, responsable d'un petit humain faisant la pluie et le beau temps sur sa vie. Elle est toujours la même, mais au fond tout a changé, sûrement en mieux, mais il ne s'attendait tellement pas à son retour et a tellement l'impression d'être un ado à côté d'elle et de sa maternité que ça lui fait tout drôle. Comme si ses quatre ans d'absence n'avait pas dû avoir une influence sur le temps, comme si Héléna avait dû être la même que quand il l'a vu sur le quai de la Gare de Bruxelles-Midi cette dernière fois. Quand il la voit le regarder ainsi avec toute cette froideur et ces reproches, il a envie de se faire tout petit, de s'excuser mille fois s'il le faut de ne pas être à la hauteur de cette petite fille et de sa maman qui mériteraient la lune et les étoiles. Depuis le premier jour il aime l'une, et depuis plusieurs mois il a appris à aimer l'autre. Il a cette impression qu'il a toujours eu de ne pas être fait pour être père, et encore plus depuis qu'il l'est aux côtés d'une jeune femme qui donnerait le monde pour le bonheur de sa fille, quand lui fait passer sa guitare avant. Pierre sait qu'il a encore beaucoup à apprendre, on ne devient pas père en un un jour, et Héléna a dû faire beaucoup d'erreurs avant d'être celle qu'elle est aujourd'hui, et elle a encore beaucoup à apprendre. Le jeune homme est figé dans l'entrée de cette petite chambre d'hôpital sinistre, égayée par les quelques couleurs qui rappellent que nous sommes dans un hôpital pour enfant. Cette blonde qui a remis toute sa vie en question est en face de lui, juste au-dessus du lit où la fillette dort paisiblement, les bras croisés adossée à la fenêtre. Pierre n'ose pas bouger mais voit bien dans le regard d'Héléna qu'il doit faire quelque chose s'il ne veut pas aggraver son cas. Alors il s'approche un peu d'elles, timidement, jette un regard anxieux à sa petit fille endormie sous le poids de la douleur et des médicaments et un regard triste, presque suppliant à Héléna. Cette dernière ne bouge pas, son regard ne vacille pas, et Pierre se doute qu'elle  attend quelque chose de lui alors que ces derniers temps il se sent incapable de lui apporter quoi que ce soit. Mais pour elle, pour eux, pour leur fille, il doit lui montrer qu'il tient à elles et qu'il est prêt à en bousculer ses priorités. Il fait alors quelques pas vers elle, sans s'approcher trop près car il sent que ce n'est pas le moment, mais suffisamment pour capter son regard et tenter d'entamer une discussion plus sérieuse que d'habitude qu'il aurait préféré ne jamais avoir à aborder.