J'aimerai garder le meilleur de ceux qu'on était ☁️

LXIII.

Après un sourire tendre de Marlène qui la laisse sortir dans le couloir pour passer son coup de fil pendant qu'elle arrange quelques détails avec Pierre, Héléna s'éclipse et s'empresse de composer le numéro de sa maman sur le téléphone que lui tend la nounou. Rosalie parle beaucoup, très enjouée à l'idée d'entendre sa maman qu'elle n'a pas vu depuis le matin, ce qui est une première. Elle est trop jeune pour se rendre compte de ce que sa maman est en train de vivre, et n'a aucune de ce que représente ces dizaines de dodos sans elle. Héléna se dit que c'est peut-être mieux comme ça, au moins pour le moment elle garde son enthousiasme enfantin, sans se soucier de l'absence de celle qu'elle regarde comme la huitième merveille du monde. Après de longues minutes d'appel, où la mère et la fille échangent des rires et des mots doux, après un dernier bisou et un dernier je t'aime, Jenifer finit par réussir à récupérer son téléphone, puisque normalement Héléna n'est même pas sensée avoir de contact avec l'extérieur. Comme c'est un cas exceptionnel et que sa fille est très jeune, elle a pu lui parler, sans pour autant adresser la parole à Brigitte, puis sa nounou la presse pour retourner avec Pierre et Marlène. Tout est calé à la minute près et ils ne sont pas les seuls à avoir besoin de Marlène, alors il faut absolument respecter les horaires et que la jeune belge y retourne. En poussant à nouveau la porte de la petite salle, pour la première fois depuis le début de ces répétitions, elle crois le regard de Pierre. Cet échange la fige sur place et sa main n'arrive plus à se défaire de la poignet. Lui la regarde innocemment, comme si il ne l'avait jamais vu alors qu'elle vient de parler à leur fille, et cette simple pensée l'emmène au bord de la crise de panique. Quatre ans à tenter de faire cohabiter en elle ces deux mondes. Celui de cet été là, de Pierre, de leurs amis, de leurs moments et de leurs promesses, et celui de sa vie en Belgique, Lucien, ses copines, ses études, et sa fille au milieu qui fait partie du deuxième monde, qui doit faire du deuxième monde, mais qui rappelle toujours avec un brin d'amertume le premier à Héléna. Quatre ans foutus en l'aire. Pierre ne l'a pas reconnue avec son corps tout déformé, tout flasque, il ne sait pas qu'il ont eu un enfant, alors il s'en fiche de ce regard, ça ne veut rien dire. Par contre, elle, elle se souvient de tout. Chaque murmure, chaque baiser, chaque petit concert privé, que ce soir sur la plage ou à l'appartement, chaque cigarette partagée, chaque frisson et chaque éclat de rire. Elle se souvient de tout et elle a porté neuf mois le fruit de leur amour passé aux oubliettes. Neuf mois durant, une partie de Pierre a grandi en elle, a transformé son corps qu'elle aime encore moins qu'avant, puis elle a vu le jour et n'a cessé de lui rappeler en silence la bêtise qu'elle avait faite. Comme si cela ne suffisait pas, cet enfant qui est sensé être autant de son père que de sa mère n'a pris que de son père physiquement. Sauf les yeux et heureusement, sinon Héléna ne l'aurait pas supporté. Apportez chaque jour de sa vie dans le corps son enfant le regard de Pierre qui l'a tant fait fondre, elle n'aurait pas été assez forte. Déjà que Rosalie a son rire, ce même rire de daronne qui est pourtant si franc et si craquant, aujourd'hui elle en ferait presque des cauchemars tant il est identique. Et quand le jour de l'anniversaire de son ex petit ami -jour qu'elle redoutait car ils en avaient rêvé des centaines de fois et qu'elle savait qu'il occuperait encore plus ses pensées qu'à l'accoutumée- elle a senti son bébé bougé en elle pour la première fois, elle a eu l'impression que le sort s'acharnait sur elle et que le destin voulait la punir. Il y a tant de jours de l'année, il fallait qu'elle sente son enfant vivre pour la première fois le six mars. Ça aussi elle en a pleuré, et maintenant qu'elle sente retrouve face à Pierre elle pourrait craquer à nouveau. Mais elle n'a pas le droit, elle ne peut pas, elle a fait ce choix et c'est sans doute le bon, Pierre fait partie de son passé et c'est très bien comme ça. Elle a tourné la page, Rosalie est très heureuse et ne sait rien de tout ça, Pierre a certainement refait sa vie aussi, alors elle doit oublier tout ça, et seulement se concentrer sur cette putain de chanson d'amour les yeux dans ceux de son ex.