Les Profondeurs du Silence
Lorsque John quitta l'appartement, Sherlock resta immobile dans son fauteuil, fixant un point invisible sur le sol. Le bruit des pas de John s'évanouit dans les escaliers, laissant derrière lui un silence oppressant. Un silence que Sherlock connaissait bien, mais qui, aujourd'hui, pesait plus lourd qu'à l'accoutumée. Baker Street, d'habitude si familière, prenait une allure étrange, presque hostile. Chaque objet, chaque meuble, semblait renvoyer à Sherlock un fragment de ce qu'il avait été. Un homme aux méthodes calculatrices, un détective se tenant au-dessus des émotions humaines, les manipulant comme des outils sans jamais s'en laisser affecter.
Mais aujourd'hui, les émotions semblaient s'imposer à lui. Il les sentait, pesantes, présentes dans chaque recoin de sa conscience, comme un murmure incessant.
Il se redressa légèrement, son regard dérivant vers la fenêtre. Dehors, la lumière du jour s'affaiblissait, et la brume londonienne s'épaississait. Pourtant, son esprit restait obstinément tourné vers l'intérieur, vers ce qu'il ne pouvait contrôler : ses propres pensées.
John avait raison. Il le savait. Émilie avait souffert, probablement bien plus que ce qu'il avait pu imaginer. Il s'était convaincu que tout était pour le mieux, que son absence, bien qu'atroce, servirait un but supérieur. Mais il avait négligé l'impact de sa disparition sur ceux qui comptaient vraiment pour lui. La solitude qu'il leur avait imposée, surtout à Émilie, semblait désormais une décision cruelle, presque impardonnable.
Le nom d'Émilie résonnait dans son esprit, un écho constant qu'il ne pouvait ignorer. Il repensa aux derniers moments qu'ils avaient partagés avant sa disparition. Son regard vif, toujours alerte, son silence lourd de compréhension, son intelligence qui se distinguait dans chaque mot qu'elle prononçait. Et puis, la dernière fois qu'il l'avait vue... sur ce toit. Son visage brisé, sa colère contenue. Il n'avait pas mesuré, à l'époque, à quel point il comptait pour elle. Il avait toujours perçu leur relation comme purement professionnelle, tissée d'un respect mutuel, mais distant. Pourtant, ces deux dernières années, quelque chose en lui s'était fissuré. Il avait commencé à comprendre que pour Émilie, il était bien plus qu'un simple collaborateur.
Sherlock se leva brusquement et se dirigea vers la cheminée, où il alluma une cigarette, geste rare mais révélateur de son agitation intérieure. Il regarda la fumée monter en spirales, dissipant un instant la lourdeur de ses pensées. Émilie. Elle n'était jamais loin de son esprit, même lorsqu'il essayait de l'enfouir sous des couches de logique et de rationalité.
Un souvenir lui revint en tête, vif comme une lame. Le moment où elle lui avait touché la main, sans y prêter attention, probablement. Mais lui... il avait ressenti quelque chose d'étrange, de dérangeant. Une chaleur inattendue, un contact humain auquel il n'était pas habitué. C'était pour cela qu'il avait commencé à observer ces moments de contact, tentant de comprendre ce que cela éveillait en lui. Il s'était toujours vu comme un homme de logique, mais la logique ne semblait plus suffisante pour expliquer l'effet qu'Émilie avait sur lui.
Il repensa à cette étrange expérience qu'il avait menée, de manière discrète et subtile, en multipliant les occasions de toucher Émilie. Un geste ici, une main posée sur son épaule là-bas. Chaque contact éveillait en lui une sensation qu'il n'aurait jamais pensé ressentir. C'était comme si le simple fait de la frôler lui rappelait qu'il était encore humain, malgré tout ce qu'il avait tenté d'enterrer en lui. Il se demandait si elle avait remarqué. Émilie, avec son regard perçant, ses intuitions toujours aussi justes, aurait-elle perçu ses intentions ? Ou peut-être était-elle aussi perdue que lui dans cette étrange danse de non-dits et de gestes furtifs.
Son esprit s'égara plus profondément dans ce que John avait dit. Elle s'était retirée, elle avait souffert. Lui avait manqué. Un mot qu'il avait toujours refusé de laisser entrer dans son vocabulaire. Le manque. Sherlock Holmes ne manquait de personne. Il ne dépendait de personne. Pourtant, en entendant John lui décrire la douleur silencieuse d'Émilie, il ne pouvait s'empêcher de se demander si lui aussi, malgré ses efforts, n'avait pas ressenti une sorte de vide en son absence. Elle avait été un pilier dans ses enquêtes, mais plus que cela, elle avait apporté une présence qu'il n'avait jamais su comment qualifier. Ni une amie, ni une simple collègue. Quelque chose d'autre, d'inclassable.
Le visage d'Émilie apparut dans son esprit. Ses yeux vifs, toujours pleins de questions, de doutes qu'elle ne laissait jamais transparaître. Sherlock se demandait maintenant si elle avait été aussi impénétrable qu'il l'avait cru. Si, tout ce temps, elle n'avait pas caché ses vérités, tout comme lui avait caché les siennes.
Le bruit d'une voiture passant dans la rue le ramena à la réalité. Il écrasa sa cigarette dans le cendrier et retourna vers la fenêtre. Le brouillard était maintenant épais, presque palpable. Il se reflétait dans les fenêtres des immeubles voisins, floutant les contours du monde extérieur, tout comme ses pensées floutaient les certitudes qu'il avait toujours eues.
Il savait qu'il devait lui parler. Il savait qu'Émilie ne lui pardonnerait peut-être jamais entièrement. Mais il devait essayer. Pour une fois, il devait faire face à ses erreurs, accepter qu'il n'était pas infaillible. Accepter que son besoin de contrôle avait détruit bien plus qu'il ne l'avait anticipé.
Le soir commençait à tomber, et dans l'obscurité croissante, Sherlock sentit une étrange émotion monter en lui. Ce n'était ni de la peur, ni de la culpabilité. C'était une émotion qu'il n'avait jamais appris à nommer, mais qui, il le savait, avait un lien avec Émilie. Peut-être qu'elle avait aussi un lien avec son propre humanité, celle qu'il avait si longtemps réprimée.
Pour la première fois depuis longtemps, Sherlock se sentit vulnérable. Et cette vulnérabilité, loin de le terrifier comme elle aurait pu autrefois, lui apportait une certaine clarté. Il savait ce qu'il avait à faire. Mais la question était : aurait-il la force de le faire ?
Il laissa cette pensée flotter dans son esprit, indécise, tandis que la nuit prenait possession de Baker Street.

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Une colocataire improbable
FanfictionDans les ruelles sombres de Londres, où chaque ombre cache un secret, Sherlock Holmes se trouve face à un ennemi à la hauteur de son intellect : le redoutable Moriarty. Alors que les complots se multiplient et que les preuves se retournent contre lu...