Chapitre 61 - Découverte du Carnet

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Découverte du Carnet

Quelques mois plus tard, dans un chalet dans lequel ils s'étaient réfugiés semblait figé dans le temps, comme s'il n'avait pas été habité depuis des décennies. Chaque objet, chaque surface portait une patine d'abandon. Sherlock s'avança dans la pièce principale, observant d'un œil attentif les détails invisibles aux non-initiés : une pile de journaux jaunis sur une table bancale, une chaise au pied cassé, et un éclat de verre oublié dans un coin, témoignage silencieux d'un passé qu'il ne chercherait pas à déterrer. Sa curiosité avait des limites, après tout.

Émilie, quant à elle, était accroupie près du poêle, se battant contre des allumettes trop humides pour allumer un feu. Ses gestes étaient précis, presque élégants, malgré la frustration qu'elle dissimulait sous un masque de calme apparent. Sherlock la regarda un moment, fasciné par ce contraste entre maîtrise et abandon. « Une énigme perpétuelle », pensa-t-il.

Il détourna finalement le regard et s'approcha d'un sac qu'elle avait laissé près d'une vieille commode. Non par malveillance, mais par instinct, il l'ouvrit. C'était plus fort que lui. Explorer, analyser, comprendre : ces impulsions étaient au cœur de son être. Sous un pull négligemment roulé et une petite trousse, il découvrit un carnet noir, d'apparence banale mais marqué par l'usure. La couverture était légèrement éraflée, les coins pliés par des heures d'utilisation.

Sherlock resta immobile, le carnet dans la main, pesant les conséquences de son geste à venir. Il connaissait Émilie. Il savait que cet objet n'était pas simplement un carnet, mais une extension d'elle-même. Un endroit où elle déversait ses pensées les plus intimes, un sanctuaire qu'il n'avait pas le droit de profaner.

Mais la tentation était trop forte.

Il ouvrit le carnet et commença à le feuilleter. Les premières pages étaient pleines de gribouillis, des dessins d'architecture, des croquis de paysages et de visages qu'il ne reconnut pas. Puis vinrent les mots. Des phrases en français, griffonnées à la hâte, parfois poétiques, parfois chaotiques. Les idées semblaient couler sans filtre, comme si elle écrivait pour libérer un trop-plein d'émotions qu'elle ne pouvait exprimer autrement.

Certaines notes portaient sur des enquêtes récentes. D'autres, sur des observations de leur voyage, des impressions de villes visitées. Mais c'était une page plus récente qui retint son attention. Elle portait un titre : « Enfant de nulle part » – Nuit Incolore. Sherlock n'avait jamais entendu parler de ce chanteur, mais il sentit immédiatement que cette chanson avait une résonance particulière pour Émilie.

Il lut lentement, traduisant dans son esprit chaque mot écrit dans une écriture penchée, presque nerveuse :

« Cette chanson, c'est moi. Pas seulement dans les mots, mais dans l'absence qu'elle dépeint. Le nulle part, c'est cet espace entre ce que je veux être et ce que je suis. Une oscillation constante, entre désir et ennui, entre quête et déception. Peut-être que ce nulle part n'est pas un lieu, mais une manière de vivre. Un état d'âme. C'est beau et désespérant à la fois. »
Sherlock ferma les yeux un instant, laissant les mots s'imprégner. Une oscillation constante... Ces mots résonnaient étrangement en lui. Émilie était comme un pendule, balançant sans cesse entre deux extrêmes. Il avait toujours perçu cette tension en elle, mais lire ces pensées, ces confessions intimes, lui donnait une nouvelle perspective. Ce nulle part qu'elle décrivait... était-ce là où elle se trouvait, même maintenant ? Et surtout, était-ce un espace où il avait sa place ?

Il tourna la page, mais cette dernière était vierge. Ce silence après tant de mots sembla presque assourdissant. Il referma le carnet et le replaça avec soin dans le sac, s'assurant que tout était exactement comme il l'avait trouvé. Puis il recula, les mains croisées derrière son dos, fixant le mur devant lui comme s'il cherchait une réponse dans les ombres.

Sherlock était habitué à comprendre les gens rapidement. Il décryptait leurs habitudes, leurs faiblesses, leurs aspirations, souvent en quelques secondes. Mais avec Émilie, c'était différent. Elle était une énigme qu'il ne pouvait résoudre, un puzzle dont certaines pièces manquaient volontairement, ou peut-être qu'il les cherchait au mauvais endroit.

Elle était profondément humaine, et cela le déconcertait. Là où d'autres étaient des schémas prévisibles, Émilie était une succession de contradictions. Elle était à la fois douce et tranchante, méthodique et impulsive, vulnérable et inébranlable. Elle ne se laissait jamais totalement lire, jamais totalement cerner. C'était frustrant, et étrangement fascinant.

Il se demanda si elle savait à quel point elle était différente. Si elle savait à quel point elle lui échappait. Le carnet n'avait fait que confirmer ce qu'il soupçonnait depuis longtemps : Émilie vivait dans un état de quête permanente. Pas seulement une quête intellectuelle, comme lui, mais une quête plus profonde, plus existentielle. Elle cherchait quelque chose qu'elle ne pourrait probablement jamais trouver. Et Sherlock se surprit à se demander si, d'une certaine manière, il faisait partie de cette quête.

« Pourquoi cette idée me dérange-t-elle autant ? » pensa-t-il. Il détourna rapidement ses pensées. Ce n'était pas le moment de s'enliser dans des considérations inutiles. Il devait rester concentré, rationnel. Mais une petite voix dans son esprit murmura qu'il avait déjà franchi une limite.

Une colocataire improbableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant