Une colocataire improbable

Chapitre 49 - Les Fantômes du Passé

Les Fantômes du Passé

La pluie battait contre les fenêtres de Baker Street, créant une mélodie lancinante qui semblait remplir chaque recoin du salon. Sherlock, assis dans son fauteuil habituel, regardait fixement une lettre étalée sur la table basse. Ses doigts jouaient nerveusement avec la bordure du papier, une rare manifestation de trouble visible chez lui. Émilie, assise en face de lui, son regard troublé, fixait également la lettre. Un silence pesant régnait dans la pièce, ponctué seulement par les éclairs lointains qui déchiraient le ciel de Londres.

C'était une lettre de Moriarty. Le papier avait vieilli, jauni par le temps, comme si elle avait été laissée là, dans l'attente d'être découverte. Le contenu n'était pas long, mais suffisant pour réveiller des terreurs qu'Émilie avait espéré enfouir à jamais. « Je ne suis jamais loin », pouvait-on lire en haut de la page, les lettres tracées avec une précision glaciale. C'était la signature invisible de Moriarty, cette capacité à s'immiscer dans la vie de ceux qu'il cherchait à détruire, même au-delà de sa mort. Émilie sentait ses mains trembler légèrement, un frisson glacé lui parcourant la colonne vertébrale. Il était impossible qu'il soit encore vivant... n'est-ce pas ?

Sherlock, cependant, restait étrangement calme en apparence, comme si ce spectre revenu du passé n'était qu'un autre obstacle à déchiffrer. Mais Émilie le connaissait assez pour savoir que derrière ce masque de sérénité, quelque chose bouillonnait en lui. Sa mâchoire se crispait par moments, et ses yeux, d'ordinaire vifs et inquisiteurs, semblaient légèrement troubles. Moriarty avait laissé une marque profonde sur Sherlock, une cicatrice qui refusait de se refermer.

— Sherlock, murmura Émilie, sa voix éraillée par l'émotion. C'est impossible, il est mort. Il... il est mort, n'est-ce pas ?

Sherlock leva enfin les yeux vers elle, son regard se durcissant avant de redevenir insondable.

— Vous l'avez vu mourir, répondit-il simplement. Mais avec Moriarty, la mort n'a jamais été une fin en soi.

Émilie baissa la tête. Les souvenirs du toit de l'hôpital St. Bart's revenaient en rafales : Sherlock sautant dans le vide, la panique, la peur viscérale de le perdre à jamais. Et Moriarty, ce sourire sinistre, cette façon calculée de manipuler leur vie à tous. Moriarty avait été bien plus qu'un ennemi. Il avait représenté la menace constante, un miroir tordu de ce que Sherlock aurait pu devenir sans ses propres principes moraux.

La lettre était une preuve que Moriarty avait anticipé, une nouvelle fois. Peut-être avait-il laissé derrière lui un réseau de pions prêts à exécuter ses plans même après sa mort. L'idée seule suffisait à faire trembler Émilie. Elle croisa les bras, essayant de se réchauffer, mais c'était un froid intérieur, bien plus difficile à combattre.

— Pourquoi maintenant ? Pourquoi après tout ce temps ? demanda-t-elle, brisant le silence.

Sherlock se redressa, sa silhouette se découpant dans la lumière vacillante des lampes de la pièce.

— Parce que ce n'est pas fini, répondit-il, une lueur de détermination brillant dans ses yeux. Moriarty avait prévu chaque mouvement, et cette lettre n'est qu'un autre maillon de la chaîne.

Émilie ferma les yeux un instant. Elle savait qu'ils n'étaient pas au bout de leurs peines, que le poids de ce passé n'allait pas se dissiper aussi facilement. Et pourtant, au fond d'elle, une colère sourde grandissait. Une colère non pas contre Moriarty, mais contre elle-même pour avoir cru que tout cela était derrière eux. Pour avoir espéré, même un instant, qu'elle pourrait avancer sans que les ombres de leur passé ne reviennent la hanter.

***

Sherlock se leva brusquement, laissant la lettre derrière lui. Il arpenta la pièce, un geste habituel lorsqu'il réfléchissait intensément. Émilie le suivait des yeux, observant chaque mouvement, chaque tic. Elle sentait qu'il était sur le point de s'enfermer dans son monde de déductions, de le laisser filer dans les méandres de son esprit analytique.