Bonus - Une théorie

22 2 0
                                        

Une théorie

L'obscurité de la pièce semblait envelopper leurs corps, comme un cocon intime, où chaque respiration devenait un murmure, chaque battement de cœur, une réponse silencieuse. Le poids des années de solitude, des non-dits et des douleurs enfouies était là, flottant entre eux, mais curieusement allégé par cette proximité.

Émilie, les yeux toujours ouverts, observait les ombres se mouvoir légèrement sur le plafond. Son esprit était un tourbillon d'émotions contradictoires : une étrange sérénité, un sentiment de paix qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps, mêlé à une peur sourde, celle d'être trop vulnérable. La chaleur subtile de la main de Sherlock, encore entrelacée avec la sienne, faisait naître en elle une douceur insoupçonnée. Elle avait souvent rêvé de ce genre de lien avec quelqu'un, mais elle ne l'aurait jamais imaginé avec lui. Lui, l'homme qui se vantait d'être dénué d'émotions, ou du moins de les réprimer avec une rigueur presque inhumaine.

Elle tourna légèrement la tête, ses cheveux éparpillés sur l'oreiller, pour observer son profil dans l'obscurité. Il était là, les traits fermés mais étrangement détendus. Peut-être était-ce l'effet de la pénombre, ou de l'intimité partagée, mais Sherlock semblait presque humain, vulnérable même. Comme si, pour la première fois, il laissait tomber cette façade d'invulnérabilité qu'il portait si haut.

— Sherlock... murmura-t-elle, sans vraiment savoir ce qu'elle voulait dire, mais simplement pour rompre le silence, pour briser cette bulle étrange qui les enveloppait.

Il tourna légèrement la tête vers elle, ses yeux brillant faiblement dans la lumière diffuse de la rue. Il ne répondit pas, mais la manière dont il l'observait, avec une attention si singulière, lui fit comprendre qu'il attendait la suite.

— Pourquoi... pourquoi maintenant ? Sa voix était douce, fragile, mais teintée d'une curiosité sincère. Pourquoi vous vous laissez... faire ?

La question le prit au dépourvu, non parce qu'elle était inattendue, mais parce qu'il n'avait pas encore formulé de réponse claire dans son esprit. Pourquoi avait-il soudainement ressenti ce besoin de contact ? Pourquoi avait-il cherché, presque instinctivement, à combler cet espace entre eux ?

Il prit une longue inspiration, ses yeux quittant les siens pour se perdre un instant dans le vide. Sherlock n'était pas homme à réfléchir à ce genre de choses. Les émotions, pour lui, n'étaient qu'une distraction, une faiblesse dans la mécanique implacable de son esprit. Et pourtant...

— J'ai... voulu vérifier une théorie, finit-il par répondre, d'une voix basse et posée, mais non sans une certaine hésitation.

Émilie le fixa, incrédule, un mélange de surprise et de frustration se dessinant sur son visage. Bien sûr, c'était typiquement lui. Toujours à chercher des réponses rationnelles, même à des questions que le cœur seul pouvait expliquer.

— Une théorie, répéta-t-elle avec un léger soupir, une pointe d'ironie perçant son ton.

Elle se redressa légèrement sur le lit, rompant le lien de leurs mains pour s'asseoir au bord du matelas. Son corps était tendu, et elle se sentait soudainement exposée, vulnérable. Comment pouvait-il réduire quelque chose d'aussi intime à une simple expérience ?

— Vous n'avez jamais changé, n'est-ce pas ? ajouta-t-elle avec une amertume qu'elle ne parvenait plus à dissimuler. Même maintenant, après tout ce qu'on a traversé, vous restez... détaché.

Sherlock s'assit à son tour, son regard toujours posé sur elle. Il la regardait avec cette intensité si particulière, mais quelque chose, dans ses yeux, semblait vaciller. Comme s'il se rendait compte, pour la première fois, de la profondeur de ses propres limites.

— Détaché ? Il réfléchit à ce mot. Non. Ce n'est pas ça. Sa voix était calme, mais il y avait une nuance différente, un brin de sincérité inattendue. C'est... compliqué.

Émilie tourna la tête vers lui, son regard perçant le sien. Elle voulait comprendre, mais elle sentait aussi la colère monter en elle. Comment pouvait-il être si insensible, alors que son propre cœur battait encore de cette nuit étrange qu'ils partageaient ?

— Compliqué ? Sa voix tremblait légèrement, trahissant l'émotion qu'elle tentait de contenir. Vous me parlez de complications alors que vous êtes là, à tester... je ne sais quoi, sur moi ? Sur nous ? Elle se leva brusquement du lit, se dirigeant vers la fenêtre, incapable de rester immobile face à cette confusion qui la rongeait.

Sherlock la regarda sans un mot, suivant chaque mouvement de son corps avec une attention presque douloureuse. Il savait qu'il avait touché une corde sensible, mais il ne savait pas comment recoller les morceaux.

— Ce n'était pas... Il s'interrompit, cherchant les mots. Ce n'était pas une simple expérience.

Émilie, debout près de la fenêtre, fixait la rue en contrebas, les mains serrées autour de ses bras. Elle voulait lui crier dessus, lui dire qu'il n'avait aucun droit de jouer avec elle de cette manière. Mais quelque chose, au fond d'elle, savait que ce n'était pas aussi simple. Elle se sentait troublée, non seulement par lui, mais aussi par ses propres sentiments, qui devenaient de plus en plus confus.

— Alors quoi ? demanda-t-elle d'une voix plus douce, presque résignée. Expliquez-moi.

Sherlock se leva lentement, s'approchant d'elle, mais restant à une distance prudente. Il savait qu'un pas de plus pourrait briser cette fragile trêve entre eux.

— Je voulais comprendre ce que je ressentais. Ces mots, simples, semblaient peser sur lui comme un fardeau. Ce que... nous ressentions.

Émilie resta silencieuse, ses yeux fixés sur les lumières de la ville. Elle ne savait pas si elle devait être soulagée ou encore plus perdue. Mais une chose était claire : cette nuit, rien ne serait plus comme avant.

Finalement, dans un mouvement presque imperceptible, elle se tourna vers lui, son regard se perdant dans le sien. Le silence entre eux était lourd, mais cette fois, il portait quelque chose de nouveau. Une compréhension tacite, une reconnaissance des émotions qu'ils ne pouvaient plus nier.

Sans un mot, elle retourna vers le lit, laissant une place vide à côté d'elle. Sherlock, toujours hésitant, la rejoignit. Ils s'allongèrent à nouveau, cette fois plus proches, leurs respirations se mêlant doucement dans l'obscurité. Sherlock posa une main sur la sienne, cette fois sans hésitation, et Émilie ne la retira pas.

Ils ne dormirent pas tout de suite. Mais cette nuit-là, dans le silence, ils commencèrent à comprendre quelque chose de bien plus profond que la simple logique ou les déductions. C'était le début d'un nouveau chemin, un chemin où les mots n'étaient peut-être pas toujours nécessaires, mais où le simple fait d'être là, ensemble, suffisait.

Une colocataire improbableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant