Chapitre 53 - L'Ombre de Moriarty

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L'Ombre de Moriarty

La brume épaisse de Londres s'attardait au-dessus de Baker Street en ce matin froid. Les jours avaient retrouvé une certaine routine, une forme de normalité depuis que John s'était marié et avait accueilli sa nouvelle vie avec Mary. Sherlock, lui, passait ses journées dans une sorte d'effervescence silencieuse. Occupé par les restes du réseau de Moriarty, il travaillait frénétiquement pour détruire ce qui subsistait de son ennemi juré, plongeant dans des enquêtes à travers des dossiers cryptés, des informateurs louches et des théories complexes.

Émilie, de son côté, brillait d'une manière nouvelle. Si la perte présumée de Sherlock avait brisé quelque chose en elle, sa résurrection avait eu l'effet contraire : elle semblait renaître. Elle était resplendissante, plus confiante, et sa complicité avec Sherlock s'était intensifiée. Leur communication avait évolué au-delà des mots, développant une forme de compréhension mutuelle, presque intuitive. Ils partageaient des regards, des gestes subtils, des silences lourds de sens. Pour quiconque les observait, il était clair qu'ils étaient connectés par quelque chose de plus profond, quelque chose que ni l'un ni l'autre n'osait encore nommer.

***

Ce matin-là, Sherlock observait les piles de documents dispersés sur le sol de Baker Street, ses pensées tourbillonnant autour de nouvelles pistes laissées par le réseau de Moriarty. Il pouvait sentir que quelque chose de plus grand se tramait, quelque chose qu'il n'avait pas encore réussi à déchiffrer. Une tension grandissait en lui, une frustration alimentée par son incapacité à tout résoudre d'un coup.

Émilie entra dans la pièce, silencieuse comme à son habitude. Elle portait un manteau bleu foncé qui soulignait la lumière dans ses yeux verts, et son visage, bien qu'apaisé, montrait des signes de réflexion profonde. Depuis plusieurs semaines, elle travaillait sur des projets personnels, partageant son temps entre conférences, recherches, et son travail, mais quelque chose en elle l'amenait sans cesse à revenir vers Sherlock. Comme un aimant invisible.

— Vous semblez pensif aujourd'hui, dit-elle en s'approchant de la table pour récupérer une tasse de thé.

Sherlock, les yeux fixés sur les papiers, haussa un sourcil sans la regarder directement.
— Pensif ? Ce n'est pas vraiment une émotion qui me correspond. Disons plutôt que je suis en pleine observation.

Émilie lui sourit légèrement, en comprenant que cela signifiait qu'il était perdu dans ses déductions.
— Observation, oui, bien sûr... Mais vous semblez aussi... agité.

Sherlock marqua une pause. Il leva enfin les yeux vers elle, étudiant son expression avant de détourner le regard vers la fenêtre. La pluie frappait doucement le verre, créant une mélodie apaisante.
— Il reste des morceaux de Moriarty. Des bribes de son réseau, des pièces de son puzzle. Je les sens, elles sont là, éparpillées en Europe. Et il faut que je termine ce que j'ai commencé.

Émilie fronça légèrement les sourcils. Elle savait combien Moriarty avait marqué Sherlock, tout comme elle. Il avait hanté leurs pensées, leurs cauchemars, et aujourd'hui encore, son ombre semblait planer au-dessus d'eux.

— Vous ne pourrez jamais complètement effacer son empreinte, dit-elle doucement. Il sera toujours là, quelque part, dans les souvenirs.

Sherlock soupira, laissant un silence lourd s'installer. Puis, avec un geste rapide, il balaya les papiers devant lui.
— Peut-être, mais je peux m'assurer que ce qu'il a laissé derrière lui ne détruira plus personne.

***

La journée passa sans grand événement, dans une sérénité presque trompeuse. Émilie s'occupait de ses propres réflexions, de ses travaux, tandis que Sherlock poursuivait ses déductions incessantes. Pourtant, il y avait quelque chose de différent dans l'air. Une tension palpable que ni l'un ni l'autre n'osait formuler. C'est dans ce calme qu'une idée vint à Sherlock, une idée aussi soudaine qu'inévitable. Ils devaient partir. Ils devaient s'éloigner de Londres, de cette bulle familière qui les maintenait dans une routine asphyxiante.

Alors que la nuit tombait, Sherlock, assis dans son fauteuil habituel, fixait un point invisible devant lui. Émilie, confortablement installée de l'autre côté de la pièce, lisait tranquillement, mais elle sentait le regard de Sherlock se poser sur elle à intervalles réguliers. Finalement, il brisa le silence.

— Émilie, dit-il d'une voix mesurée, presque solennelle. Elle releva la tête, curieuse. J'ai réfléchi. Je pense qu'il est temps de bouger.

Elle fronça les sourcils, posant son livre sur ses genoux.
— Bouger ? Que voulez-vous dire ?

Il se redressa légèrement, croisant ses doigts devant lui.
— Partir en mission. Il y a encore tant de choses à faire, tant de fils à démêler. Les traces de Moriarty ne se limitent pas à Londres. Elles sont éparpillées à travers l'Europe. Si nous voulons mettre fin à tout ça, il faut que nous nous déplacions.

Le choc passa brièvement sur le visage d'Émilie. Elle ne s'était pas attendue à une telle proposition, mais plus que la surprise, c'était une sorte d'excitation nouvelle qui s'éveillait en elle. Partir avec Sherlock. Cela signifiait entrer dans son monde d'une manière plus intime encore, mais aussi affronter ses propres peurs. Les cicatrices laissées par Moriarty étaient encore fraîches. Partir en Europe avec Sherlock pour démanteler ce qu'il restait de ce réseau... l'idée avait quelque chose de vertigineux.

— Et vous voulez que je vienne avec vous ? demanda-t-elle après un moment de silence.

Sherlock la regarda avec une intensité particulière.
— Bien sûr. Vous plus que quiconque comprends ce qu'il nous a fait.

Il y avait une sincérité inhabituelle dans la voix de Sherlock, quelque chose qui toucha Émilie. Elle resta silencieuse quelques secondes, se demandant si c'était vraiment sage de s'engager dans une telle aventure. Pourtant, au fond d'elle, elle savait que la réponse était déjà là, cachée sous la surface.

— D'accord, finit-elle par dire doucement. Si c'est ce que vous pensez être nécessaire, je vous suivrai.

Sherlock hocha la tête, satisfait mais sans exprimer de joie apparente.
— Excellent. Nous partirons dans quelques jours. J'ai déjà identifié plusieurs cibles à travers l'Europe. Cela prendra du temps, mais avec vous à mes côtés, je suis certain que nous parviendrons à terminer ce que nous avons commencé.

Émilie le fixa un instant, un mélange d'excitation et d'appréhension dans le cœur. Elle se leva lentement, traversant la pièce pour se tenir près de la fenêtre. Dehors, les lumières de la ville clignotaient, indifférentes à leur conversation. Mais à l'intérieur, tout avait changé. Le monde était en mouvement, et elle sentait que ce voyage marquerait un tournant dans sa vie, dans leur relation.

***

Le soir, alors qu'Émilie quittait Baker Street, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une étrange combinaison d'anxiété et d'anticipation. Ce voyage promettait d'être plus qu'une simple mission pour traquer les fantômes de Moriarty. Cela allait être une épreuve, une exploration de leur propre humanité, de leurs émotions réprimées, de cette relation indéfinissable qui les liait.

Tandis qu'elle marchait dans les rues embrumées de Londres, une pensée la traversa. Peut-être que ce voyage en Europe serait l'occasion pour Sherlock et elle de découvrir quelque chose de plus profond, au-delà des enquêtes, au-delà des déductions. Peut-être que ce serait enfin le moment où ils seraient forcés de regarder en face ce qu'ils refusaient tous deux de reconnaître.

Mais pour l'instant, tout restait encore un mystère à résoudre.

Une colocataire improbableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant