Chapitre 33

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Je restais cloîtré dans mon lit, à attendre. Attendre quoi ? Je ne le savais pas moi-même. Les saisons passaient, et mon chagrin était toujours aussi immense, et imprégné dans mon âme.

La haine. Voilà la seule chose qui me tenait en vie. Clovis, mon père, s'était toujours bien occupé de moi. C'était le seul homme à m'avoir tendu la main, autre que ce traître d'Icris. Il n'avait jamais voulu faire de mal... Si il pillait, c'était pour donner au pauvres...

Je passais mes jambes par dessus le bois de mon lit, afin de m'assoir, et prendre ma tête entre mains. Une migraine me martelait le crâne depuis bien des nuits.

La porte s'ouvrit dans un grincement strident. La petite tête de Berthe apparut dans son encadrement. Des cernes soulignaient ses yeux, et ressortaient encore plus à côté de son teint pâle. Elle leva timidement les yeux vers moi, avec un sourire affaiblie. Elle tenait dans ses mains tremblante un plateau de cuivre, avec quelques tranches de pain et du lait chaud. Je me redressais, la boule au ventre, et la pris dans mes bras. Elle, qui partageait la vie de Clovis, elle, qui partageait la même douleur que moi, et cette douleur est sûrement bien plus intense que la mienne.


- Je le vengerais.; déclarais-je, la haine comme seule lueur lugubre animant mon regard.


Elle se recula, doucement afin d'examiner chaque parcelle de mon visage. Elle posa tendrement ses deux mains sur mes joues, une larme roulant le long de sa joue.


- Non... Non... Ce n'est pas ce qu'il aurait voulu.; hoqueta-t-elle ; Clovis ne voudrait pas que tu gâches ta vie avec une vengeance, il se contenterait que tu te souviennes de lui...


Je passais mes mains sur les siennes, qui étaient toujours posées sur mon visage. Un faible sourire naquit sur ses lèvres. Mais ce doux sourire s'effaça aussitôt que j'enlevais doucement ses mains de mes joues. Ses iris cherchaient une explication dans les miennes. Je lui décochais un sourire triste.


- Je suis désolé, Berthe. Mais rien ne me fera changer d'avis.; déclarais-je sèchement.


Je me dégageais de son étreinte pour aller me vêtir. J'empoignais une dague que je glissais dans son étui intégré à ma large ceinture. Je rassemblais mes cheveux mi-longs en une petite queue de cheval, et me couvrais d'un épais manteau en peau de loup brun, prenant soin de couvrir mon visage avec un surplus de la fourrure, qui fit office de capuchon. Je retournais ensuite à l'entrée de notre modeste maison, où Berthe nettoyait la vaisselle avec un sceau d'eau et quelques fleurs savonneuses. Une assiette glissa de ses mains humides, et se brisa sur le sol dans un horrible vacarme. Mon regard se posa sur ma mère, qui se relevait, les jambes tremblantes, et s'appuya sur le contoire derrière elle pour ne pas que ses jambes ne lâchent. Ses grands yeux étaient rivés sur moi, un voile de terreur les recouvrait.


- ... Non... Tu ne va pas...; hoqueta-t-elle les yeux larmoyants.


Je détournais le regard, baissant la tête. Elle se rua sur moi, attrapant fermement mes deux épaules, et les secouant accablée.


- Tu compte partir...? M'abandonner aussi ?; gémit-elle d'une voix brisée.


Mon cœur se déchirait à voir son visage aussi meurtri par la détresse. Mes lèvres tremblaient, et mes yeux commençaient à pétiller. Non. Je ne pouvais pas la laisser me voir comme ça. Pas encore. Je la repoussais, et elle s'effondra au sol, son regard incompréhensif rencontra le mien, et les larmes roulaient le long de son visage tel un fleuve. Je me maudissais pour avoir fait ça. Je lui tournais le dos, ouvrant la porte d'entrée.


- ... Je vengerais Clovis. Et je deviendrais un homme qui pourra protéger sa famille.; annonçais-je d'un ton grave.

- Tu n'as pas besoin de te venger ! Ce n'est pas en te couvrant de sang que Clovis reviendra !; cria-t-elle avant que sa voix ne s'estompe dans un sanglot.


Je jetais un triste regard vers elle. Ses yeux se levèrent vers moi, et les traits de son visage se déformèrent.


- Restes...; me supplia-t-elle en tendant sa main tremblante vers moi.


Je brûlais d'envie de prendre cette main. Mais je ne pouvais pas. Non. Je me l'étais promis. Je ne pouvais pas faire marche arrière. Je serrais les poings, et pris la fuite. Une fois dehors, je pouvais entendre ma mère crier mon nom, et fondre en larmes, mais je ne pouvais pas me retourner. Je courrais à toute vitesse, sans savoir où, le plus loin possible, les dents serrées et les larmes se gelant à cause du froid glacial de l'hiver.









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