Et voilà, nous y étions. Les vacances de Printemps. Déjà ! Je venais de donner mon dernier cours de français de la semaine à la classe de première S2 et j'étais déjà en train de les regretter... Parmi tous mes élèves, c'étaient ceux que j'appréciais le plus. Certainement parce que j'avais moi aussi été à leur place. Il n'y avait pas si longtemps que ça, j'avais suivi les mêmes cours dans cette filière scientifique. Première puis terminale... Tellement de souvenirs ! Je me rappelais encore de ma fierté quand j'avais découvert que j'avais eu mon baccalauréat avec mention Bien ! Tout ça pour finir professeur de français !
J'adorais les sciences depuis toujours mais je me sentais aussi très proche de la littérature, de la poésie en particulier... Même si mon entourage ne le savait pas du tout. Mes proches avaient d'ailleurs été surpris lorsque j'avais annoncé que j'avais eu mon concours ! Mais finalement, moi pas, je savais au fond de moi que je ferai un métier en lien avec l'écriture. La vie nous jouait parfois de drôles de tours... Et heureusement, sinon elle serait bien ennuyeuse...
En parlant d'ennui, en fait, je savais pourquoi je regrettais déjà mes élèves. Comme chaque année, pour les vacances de Printemps, j'allais rendre visite à mon père, Roberto, pendant quelques jours à Paris. Ça me faisait plaisir d'aller le voir, je l'adorais, même si j'avais encore beaucoup de mal à lui dire. Mais à chacune de mes visites, je savais par cœur comment tout ça allait se passer. Il allait insister pour venir me chercher à la Gare de Lyon, il arriverait en retard comme toujours, et moi je l'attendrai. Comme toujours. Il me ferait de grands signes en arrivant, se confondrait en excuses pour le retard, en maudissant ces satanés embouteillages parisiens.
Il me ferait un bisou sur la joue pour m'accueillir, il aurait un large sourire sur les lèvres tout en me parlant avec les mains, comme tout bon italien qui se respecte ! Et moi je lui rendrai son grand sourire, en lui disant que son retard n'avait pas d'importance car j'étais en vacances et à mon tour, je lui ferai un bisou sur la joue. Nous n'étions pas très doués tous les deux pour les contacts affectueux, alors c'était déjà un très gros effort pour nous deux !
Le bruit désagréable du klaxon de la voiture arrêtée derrière moi au feu rouge me tira de mes pensées. Son conducteur voulait bien entendu me faire comprendre – à la façon marseillaise – que le feu était passé au vert et que je n'avais pas démarré assez vite... J'en avais assez de ces Marseillais qui conduisaient parfois comme des goujats, mais je ne déménagerais pour rien au monde ! J'adorais cette ville et tout ce qu'elle représentait : le soleil, la mer, les calanques, les petits quartiers pittoresques, le berceau de Marcel Pagnol... En un mot, la Provence, chère à mon cœur...
Même si j'étais énervée par le coup de klaxon du conducteur, je passai la première et démarrai rapidement pour éviter de me faire lyncher. Quelques minutes plus tard, je me garai dans le petit garage individuel attenant à mon appartement. J'avais eu la chance d'éviter les sempiternels embouteillages en partant du lycée dès la fin de mon dernier cours. Je verrouillai ma voiture, fermai le garage et marchai lentement en direction des escaliers.
En ouvrant ma porte, je fus accueillie par la lumière du soleil couchant inondant d'un orange flamboyant mon petit chez moi. Je me sentais un peu « privilégiée » d'avoir pu acheter cet appartement, avec l'aide de mes parents, au dernier étage de ce petit immeuble, situé au cœur du quartier Saint Victor, dans le 7ème arrondissement. De plus, le lycée Thiers, où je travaillais, était tout proche, ce qui me permettait de ne pas passer des heures entières dans ma voiture.
Mon chez moi n'était pas très grand mais orienté plein sud, avec une grande baie vitrée qui le rendait très lumineux et ensoleillé, et j'adorais ça ! Il était meublé assez simplement, dans une harmonie de meubles rouges et noirs, qui tranchaient avec les murs blancs. J'aimais assez ce contraste franc entre la pureté du blanc, les ténèbres du noir et l'intensité du rouge. Ça me ressemblait. Et comme j'y vivais seule, j'avais largement assez d'espace. Une de mes règles d'or : ne jamais ramener mes amants d'un soir ici. J'allais toujours chez eux. Toujours. Hors de question qu'ils entrent dans mon appartement. C'était mon refuge, mon havre de paix, loin des bruits de la ville et des dangers. C'était mon jardin secret, seules quelques personnes « choisies » pouvaient y pénétrer.
J'accrochai mon trench rouge et mon sac à main dans le couloir de l'entrée, enlevai mes talons hauts et m'installai confortablement dans le canapé, rouge lui aussi, qui trônait au milieu de la salle à manger. Mes bagages pour mon petit voyage à Paris n'allaient pas se faire tous seuls, mais je n'avais pas envie de rater le spectacle du soleil qui était en train de disparaître derrière la petite colline au loin... Je ne me lassais pas de cet instant où tout passait de la lumière à l'ombre.
En une seconde, tout se transformait, tout devenait sombre et mystérieux, dans cet instant où l'astre solaire se couchait ici pour renaître ailleurs. Je décidai de profiter de ce moment - certainement pour la millième fois - mais je ne pouvais pas m'en empêcher, c'était plus fort que moi... Je regardai avec fascination les flammes rougeoyantes mourir derrière la colline, peu à peu, elles disparaissaient pour laisser place à l'obscurité. Tout semblait se passer si vite et si lentement à la fois. Voilà, c'était fini. Le soleil avait disparu et je restai là, le sourire aux lèvres, émerveillée par la beauté de la nature et de son cycle immuable.
Mon téléphone me tira de ma rêverie en m'indiquant l'arrivée d'un texto. Évidemment, il venait de mon père qui s'impatientait déjà en me demandant si j'étais prête pour demain. Exaspérée mais amusée aussi, je levai les yeux au ciel et lui répondis que j'étais en train de préparer mes affaires. Même si ce n'était pas tout à fait vrai, ça allait le devenir dans quelques minutes, maintenant que la sérénité m'avait envahie après avoir observé le jour mourir. Je me dirigeai vers la chambre, grimpai sur une chaise pour attraper ma petite valise à roulettes qui se trouvait au-dessus de l'armoire. Je la posai sur le lit et commençai à plier quelques vêtements que je rangeai avec précaution à l'intérieur.
Je ne prenais pas grand-chose car je ne restais à Paris que quatre jours. Je ne prenais rien de trop sexy non plus. Une autre de mes règles d'or : pas de sortie en boîte lorsque je rendais visite à mon père. Je devenais un peu une autre personne, je changeais de vie, même si ça ne durait pas longtemps. Je me consacrais entièrement à lui, car je ne le voyais pas souvent. Et même s'il m'énervait parfois, ça me faisait toujours plaisir de passer du temps avec lui. Alors je m'imposais une sorte d'abstinence : pas de virée nocturne, pas d'alcool, pas de sexe, pas de nuit blanche.
C'était un peu comme si je me purifiais, comme si je me détachais du mode de vie que j'avais adopté depuis mes dix-huit ans. En fait, cette petite semaine de vacances était ma bouée de sauvetage, la bouffée d'oxygène qui me permettait de ne pas sombrer. Pendant ces quelques jours, j'avais l'impression de laisser derrière moi toutes ces soirées et ces folles nuits où je trouvais toujours un homme différent pour passer du bon temps. C'était devenu pour moi comme un mécanisme de défense, une sorte de carapace. Pas de sentiments, uniquement du sexe. Pour être sûre de ne plus jamais souffrir. Pour simplement prendre du plaisir.
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Les Ombres du Passé ~ Tome 1 ~ Libère-Moi
RomanceAprès l'immense douleur qu'elle avait connue à la fin de sa première histoire d'amour, Anna s'était jurée de ne plus jamais souffrir en s'interdisant de retomber amoureuse un jour. C'était il y a dix ans... Depuis cette promesse, elle pratiquait le...