Les Ombres du Passé ~ Tome 1 ~ Libère-Moi

Chapitre 24.1 ~ Alexandre

J'étais en train de refermer la jambe de mon patient en essayant de rester concentré jusqu'à la fin de l'opération. Il fallait que je tienne encore quelques minutes, ensuite, je pourrai relâcher la pression et laisser mon esprit penser à elle. Vincent, une fois de plus, avait été d'une aide précieuse. Nous avions réalisé une belle reconstruction de la jambe gauche de cet homme d'une quarantaine d'années qui avait eu un accident de voiture, quelques semaines plus tôt.

J'y étais. C'était ça mon objectif. Sauver des vies. Rendre l'existence de mes patients moins douloureuse. Combattre la souffrance. Je me sentais tout simplement à ma place. Tellement heureux de me rendre utile. Tellement fier. Dernier point de suture. Tout s'était très bien déroulé. Cette réussite me remonta un peu le moral.

Fidèle à lui-même, mon meilleur ami me tapota l'épaule en me félicitant pendant que je terminais de me laver les mains. Il était encore plus exubérant que d'habitude après sa nuit de débauche avec Camille. Sa jovialité me permettait de ne pas sombrer dans le néant mais elle avait aussi tendance à m'exaspérer parfois. Pourquoi la joie de vivre serait-elle réservée aux autres et pas à moi ?

Par le passé, je ne m'étais jamais vraiment posé la question. Je n'étais pas heureux mais je trouvais ça normal. Mérité même. Vu que je me sentais responsable de la mort de ma mère. Je pensais ne pas avoir droit au bonheur et ça m'allait très bien. Je m'étais fait une raison. Depuis que j'avais rencontré Anna, je commençais à voir les choses de manière différente. C'était à la fois très déstabilisant et excitant. Le rire de Vincent m'extirpa de mes pensées :

— Bravo, mec, tu as assuré comme une bête !

— Merci, toi aussi tu as assuré !

— Y a pas à dire, on fait une équipe de chirurgiens du tonnerre tous les deux...

— Pas faux !

— Je ne sais pas pour toi, mais moi, j'ai un faim de loup !

— Moi aussi !

— Allez, viens, on va manger, je t'invite !

— Quelle générosité !

Il rit de plus belle en sortant de la salle pré-opératoire. Dans le couloir, je croisai mon père qui venait de terminer une opération dans le bloc situé juste à côté du mien. Comme d'habitude, son regard était triste et vide. Un sourire éclaira faiblement son visage quand il m'aperçut :

— Bonjour Alexandre, ça va ? Comment s'est passé ton opération ?

— Bonjour, Papa. L'intervention a été un succès. Dans quelques semaines, avec une bonne rééducation, mon patient pourra remarcher normalement !

— Bravo ! Dis-moi, tu as avancé sur la rédaction de ta thèse ?

— Oui, justement, j'ai bossé dessus hier soir. Je voulais t'en parler. Vincent et moi, on allait déjeuner, tu veux venir avec nous ?

— Merci pour ta proposition mais je vais vous laisser entre jeunes... On se voit ce soir chez moi pour en discuter si tu veux ?

— OK, je passerai vers 20 heures si ça te va ?

— Parfait !

— A ce soir !

Il disparut au bout du couloir et j'allai retrouver Vincent dans les vestiaires. Il était déjà dans les starting blocks.

— Tu te dépêches ? J'ai faim !

— Oui, j'arrive, j'ai croisé mon père et on a discuté de ma thèse.