Lorsque je repris connaissance, j'étais allongée dans une civière. Mon père, assis à côté de moi, me tenait la main. Tout bougeait beaucoup trop dans ce véhicule et je ne pouvais pas tourner la tête, certainement à cause de la minerve que je sentais autour de mon cou. Je ressentais toujours cette douleur à la tête et ça m'inquiétait. J'essayais de me concentrer sur le contact de la main de mon père qui me caressait doucement et ça m'apaisa tout de suite.
Quelques instants plus tard, je sentis l'ambulance s'arrêter. Et là, ce fut un véritable branle-bas de combat. Les ambulanciers ouvrirent rapidement les portières, sortirent ma civière de l'arrière, et mon père dût me lâcher la main. Aussitôt, je sentis la panique m'envahir de nouveau... Je le cherchais des yeux mais ma minerve m'empêchait de bouger comme je le voulais.
— Mademoiselle, restez calme s'il vous plait, ne vous inquiétez pas, vous allez être prise en charge par les urgentistes de l'Hôpital Bichat et votre père n'est pas loin de vous, me dit un ambulancier avec un sourire et un calme olympien.
Comment pouvait-il se sentir si serein alors que je paniquais totalement et que j'avais envie de pleurer ? Quoi qu'il en soit, ces mots réussirent à apaiser la tempête qui rugissait en moi et je sentais qu'on poussait mon brancard avec force vers les urgences. Les lumières aveuglantes du plafond me faisaient mal aux yeux.
Je les fermai aussitôt, pour essayer de me concentrer sur les mots rassurants de l'ambulancier et je sentis que mon rythme cardiaque ralentissait un peu. C'était déjà mieux que rien. Toujours ce satané mal de tête. J'essayais de respirer profondément pour chasser la douleur mais ce ne fut pas très efficace. Tout à coup, le brancard s'arrêta et j'entendis une voix qui me transperça le cœur.
— Mademoiselle ! Vous m'entendez ? Ouvrez les yeux s'il vous plait ! Je dois vous examiner pour savoir si vous avez subi un traumatisme crânien ! Mademoiselle !
Non. Ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être lui. Je devais être morte. Je ne voyais que cette explication. Je ne pourrais pas l'entendre si ce n'était pas le cas. Sébastien. Mon seul amour. Je ne pouvais pas en croire mes oreilles. Je reconnaissais sa voix douce et claire que j'avais tellement entendue dans mes rêves... Et maintenant que j'étais morte, je l'entendais de nouveau, il était là, il venait me chercher pour vivre l'éternité avec lui.
Mon cœur était mort le jour où Sébastien avait quitté ce monde. Lors de notre première rencontre au club de lecture, il se savait déjà condamné. Malformation cardiaque. C'était la raison pour laquelle il m'avait embrassée si vite et si fort, il ne pouvait pas se permettre de perdre du temps en préliminaires et autres jeux de séduction. Mais moi, je ne le savais pas. Il ne m'en avait jamais rien dit. Notre histoire avait duré plus d'un an et elle avait été merveilleuse, mais je ne savais pas que j'étais moi aussi condamnée. Condamnée à le perdre. Condamnée à souffrir. Je ne pourrai jamais oublier ce jour maudit de janvier où sa mère était venue frapper à ma porte, en larmes.
— Bonjour Agnès, ça ne va pas ? Que se passe-t-il ? Il y a un problème ?
— Anna, Anna... Je... Oui... C'est terrible... Il nous a quittés... Sébastien nous a quittés...
— Quoi ? Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Non, non, non.
J'avais senti mes jambes trembler à ce moment-là, et Agnès m'avait soutenue tant bien que mal jusqu'au canapé du salon. J'étais en larmes. Je ne pouvais plus respirer. J'avais envie de hurler mais aucun son de pouvait franchir la boule de feu qui s'était formée dans ma gorge et dans mon ventre. C'était comme si on m'avait arraché le cœur et les entrailles. J'avais l'impression que mes veines charriaient de l'acide pur. Tous mes membres me brûlaient. Mes larmes salées n'arrêtaient pas de couler. J'entendais à peine Agnès qui essayait de me parler entre deux sanglots.
— Anna, je suis tellement désolée... Il ne voulait pas t'en parler, il ne voulait pas de ta pitié, et il m'avait fait jurer de ne pas te révéler son secret.
Malgré le poison qui coulait dans mon corps, j'étais parvenue à articuler :
— Mais de quoi vous parlez Agnès ? Je ne comprends rien à tout ce que vous essayez de me dire...
— Il était malade Anna. Il souffrait d'une malformation cardiaque inopérable. Il était condamné à plus ou moins brève échéance mais il ne voulait pas que tu le saches. Il voulait profiter pleinement de votre histoire d'amour parce qu'il savait que ce serait la dernière de sa vie.
— Quoi ? Vous délirez ! Il était malade et je ne m'en serais même pas rendu compte ? Arrêtez de me prendre pour une idiote ! Il m'a quitté et il n'a pas assez de courage pour venir me le dire lui-même c'est ça ?
— Non, Anna, je ne délire pas malheureusement... Le cardiologue nous a annoncé ça juste avant notre emménagement à Marseille et il avait fait promettre à toute la famille de ne jamais en parler en ta présence. Je pensais que tu devais le savoir mais il s'y était farouchement opposé. Il avait trop peur de te perdre.
— Mais, s'il me l'avait dit, je ne l'aurais pas quitté ! Au contraire, je l'aurais soutenu, encouragé, aimé encore plus même ! Et on aurait été plus forts à nous deux !
J'étais complètement dévastée. Après le choc de l'annonce de sa mort, j'étais obligée de subir le second choc de son mensonge. Je lui en voulais tellement à ce moment-là. Je lui en voulais de ne m'avoir rien dit. D'avoir vécu sans moi cette perpétuelle peur du lendemain. De m'avoir abandonnée...
— Je sais Anna, je sais. Et je n'arrêtais pas de lui conseiller de t'en parler mais il ne voulait pas prendre le risque de te perdre. Il me disait qu'il était tellement heureux avec toi que ça l'avait aidé à accepter la mort. Et je crois que je dois te remercier d'avoir à tel point embelli les derniers mois de sa vie... Merci Anna, merci du fond du cœur...
— Je... Vous n'avez pas à me remercier...
Avec une main tremblante, elle avait sorti une enveloppe rouge de sa poche et la tendait vers moi.
— Si, je le dois. Sébastien a laissé cette lettre pour toi. Il l'a écrite au début de votre relation, et il m'avait fait promettre de te la remettre le jour où...
Submergée par l'émotion, elle n'avait pas pu finir sa phrase. Comme un automate, j'avais pris la lettre entre mes mains. J'avais immédiatement reconnu son écriture en lisant mon prénom sur l'enveloppe. Je suffoquais. Je ne pouvais pas croire que tout ceci était réel. Et pourtant. C'était la réalité. Ma triste réalité. Mon amour était mort. Et il était mort seul. Sans que je puisse le soutenir. Lui tenir la main. Lui dire adieu... Je serrais encore la lettre rouge de Sébastien contre mon cœur quand sa mère était partie. Et moi, j'étais toujours assise sur le canapé, hébétée par tout ce qu'elle venait de me dire. L'acide continuait de couler le long de mes veines, et les larmes roulaient toujours sur mon visage. J'avais la sensation que ça ne s'arrêterait jamais. Je n'arrivais pas à bouger, j'étais comme paralysée. Incapable de faire le moindre mouvement ou d'émettre le moindre son.
L'acide était en train de me disloquer, minute après minute, heure après heure. La seule chose que j'étais en mesure de faire, c'était de m'accrocher désespérément à sa lettre pour ne pas perdre pied. Je ne savais pas pendant combien de temps j'étais restée là. J'avais fini par essayer de me lever mais je m'étais effondrée par terre. Ma mère, affolée, m'avait allongée sur le canapé et appelé un médecin. Quelques heures - ou quelques jours ? - plus tard, j'étais revenue à moi, confortablement installée dans mon lit. Dès que j'avais ouvert les yeux, la triste réalité m'avait transpercé. Sébastien était mort. Et je tenais toujours, serrée contre mon cœur, sa lettre rouge.
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Les Ombres du Passé ~ Tome 1 ~ Libère-Moi
RomanceAprès l'immense douleur qu'elle avait connue à la fin de sa première histoire d'amour, Anna s'était jurée de ne plus jamais souffrir en s'interdisant de retomber amoureuse un jour. C'était il y a dix ans... Depuis cette promesse, elle pratiquait le...