Les yeux fermés, les poings serrés, je pensais à elle de toutes mes forces. Je continuais à répéter en boucle ces mots dans ma tête. Il fallait qu'elle se réveille, s'il vous plait, il fallait qu'Anna se réveille. Je ne voulais pas arrêter ma litanie. Je ne le pouvais pas. J'avais l'impression qu'elle m'entendait et que ma prière silencieuse l'aiderait à se réveiller enfin. Je ne savais pas pendant combien de temps j'étais resté là. Je sentais l'air de ce soir de printemps parisien devenir de plus en plus frais. Cette douce fraîcheur m'aidait à ne pas sombrer, elle me maintenait dans un état de semi-conscience.
Tout à coup, la sonnerie stridente de mon biper me fit sursauter. Je rouvris les yeux si vite qu'ils n'eurent pas le temps de s'habituer à la nuit naissante. Je regardai l'écran tant bien que mal et reconnus le numéro des urgences. Je n'osai y croire. Anna s'était enfin réveillée ! Merci mon Dieu ! A moins que... c'était peut-être tout simplement une urgence de plus.
Une seule façon de le savoir, rentrer. Je me précipitai en courant vers les urgences, manquant de renverser au passage des infirmières qui discutaient devant l'hôpital, mais je m'en fichais. Il fallait que je sache. Il le fallait. J'entrai au pas de course et me dirigeai le plus rapidement possible à l'accueil. Complètement affolé, je criai presque :
— Qui m'a bipé ?
Je jetai un regard paniqué autour de moi. Toutes les infirmières présentes ou qui passaient par là et qui avaient entendu mon appel me répondaient « Non » de la tête. Je n'y comprenais plus rien ! Je vérifiai mon biper. C'était pourtant bien le numéro des urgences bon sang ! Je sentais la colère et le désespoir me submerger, et j'essayais en vain de les combattre. Je fermai les yeux une seconde, je pris une grande inspiration suivie d'une profonde expiration. Lorsque je rouvris les yeux, l'infirmière qui s'occupait d'Anna se dirigeait vers moi au pas de course.
— Docteur Mercier, enfin vous voilà ! Je vous ai bipé car Mademoiselle Peretti s'est réveillée !
— Vous... vous êtes sûre ?
L'absurdité de ma question la fit rire. Elle me répondit en souriant :
— Oui, j'en suis sûre... Je sais encore reconnaître le réveil d'une patiente !
— Excusez-moi, je.... Ce n'est pas ce que je voulais dire... Bref, comment va-t-elle ? Ses constantes ?
— Ses constantes sont stables, elle a l'air encore un peu choquée et perdue après ce qui lui est arrivé mais c'est normal. J'ai fait les premiers tests. Rien à signaler. Elle est calme. Son père est avec elle. Elle n'attend plus que vous.
— Comment ça, elle n'attend plus que moi ? Enfin, je... vous...
— Oui, elle vous attend pour que vous puissiez vérifier que tout va bien !
— Ah, oui ! Bien sûr ! Heu... désolé, je... C'est la fatigue...
— Pas de soucis, je comprends Docteur, me répondit-elle en me remettant son dossier à jour.
Complètement perdu, je pris le dossier en lui adressant un sourire crispé.
— Merci, je vais l'ausculter.
J'arrivais à le dire mais je ne parvenais pas à le faire. Mon cerveau disait à mes pieds de bouger et de me diriger vers la chambre 5, mais mon corps ne remuait pas d'un millimètre. La peur me paralysait littéralement. J'avais le souffle court, les mains moites, le front en sueur et mon cœur était sur le point d'exploser. L'espace d'un instant, j'envisageai la possibilité de demander à un collègue d'aller l'examiner à ma place. Mais la seule idée qu'un autre homme puisse la toucher, même dans un contexte médical, me rendait fou. Bon, Alexandre, il fallait te décider !
Résolu à bouger, je pris une nouvelle fois une grande inspiration et commençai à marcher d'un pas lent et fébrile vers sa chambre. La porte était ouverte. Lorsque je fus proche de l'entrée, j'aperçus un homme qui sortait. Je reconnus aussitôt son père. Il avait l'air aux anges, un grand sourire illuminait son visage un peu bourru. Dès qu'il me vit, il me fit un grand signe de la main et me cria presque en s'élançant vers moi :
— Docteur, Docteur, Anna est réveillée ! Dieu soit loué ! Grazie, grazie mille per tutto ! *
Je n'eus pas le temps de l'arrêter dans son élan et il me prit dans ses bras à grand renfort de rire et de tapes dans le dos. Il me parlait en italien et je ne comprenais plus grand-chose à ce qu'il disait. Mais peu importait, il était heureux, tout simplement, ça crevait les yeux.
— Vous n'avez pas à me remercier, je n'ai rien fait pour le moment, à part... attendre son réveil. Je dois l'examiner pour m'assurer que tout va bien maintenant.
— Oui, oui, bien sûr Docteur ! Excusez-moi, allez-y, je vais aller prendre un café !
— OK, c'est une bonne idée, on se voit tout à l'heure.
A ma grande surprise, je parvins à me libérer assez facilement de son « embrassade » et il partit tout content vers le distributeur. Son bonheur évident m'avait rendu un peu plus courageux. Mais j'avais toujours le cœur qui battait à tout rompre. Je n'avais pas le choix, il fallait que j'entre dans cette chambre. Je m'avançai doucement et en deux pas, j'étais de nouveau près de son lit. Je sentais mes jambes trembler et n'osai pas bouger. Je jetai un premier regard vers elle. Elle était assise sur le lit, les jambes allongées, les mains croisées devant elle. Sa tête reposait tranquillement sur l'oreiller. Je rassemblai tout le courage qu'il me restait pour lui dire :
— Bonsoir Mademoiselle Peretti, je suis le Docteur Mercier. Comment vous sentez-vous ?
Je ne savais pas comment j'avais fait pour lui dire tout ça sans flancher, mais mon professionnalisme avait repris le dessus, du moins, pour le moment. Espérons que ça allait durer... Dès qu'elle entendit ma voix, elle tourna brusquement la tête vers moi et sursauta presque. Elle était si belle. Ses joues avaient repris quelques couleurs depuis son réveil même si elle était encore un peu pâle. Ses cheveux bruns étaient en bataille. Ses yeux écarquillés semblaient me regarder sans me voir.
C'était étrange. Elle fronçait les sourcils et elle paraissait désorientée, presque paniquée. Je ne comprenais pas du tout ce qui se passait et ça m'inquiétait. Je me demandais si le choc n'avait finalement pas laissé des séquelles. Sans réfléchir, je m'approchai un peu plus près de son lit et tendis la main pour lui caresser la joue. Pour la ramener ici dans le présent avec moi, mais aussi parce que je mourrai d'envie de la toucher de nouveau. Je ne pensais qu'à ça depuis des heures. La toucher. Sentir la douceur et la chaleur de sa peau sous mes doigts. C'était devenu une vraie obsession.
Lorsque ma main effleura sa joue, elle n'eut aucun mouvement de recul, ce qui me surprit. Au contraire, elle ferma les yeux et sa respiration se fit de plus en plus calme. J'étais complètement hypnotisé par sa présence, subjugué par le contact de sa peau si douce, que je caressais de mes doigts tremblants et hésitants. Je n'osais même plus respirer, de peur de gâcher cet instant presque irréel. Je ne pouvais pas arrêter de lui caresser la joue, je ne le voulais pas... Soudain, je l'entendis murmurer :
— Sébastien...
L'entendre chuchoter ce prénom masculin me fit l'effet d'un coup de poignard. Je retirai aussitôt ma main qui retomba le long de mon corps. Qui était ce Sébastien ? S'ils étaient ensemble, pourquoi n'était-il pas à son chevet en ce moment alors qu'elle avait besoin de lui ? Tout un tas de questions se bousculaient dans ma tête, je n'arrivais plus à réfléchir correctement. Je me sentais anéanti, abasourdi par le choc.
C'était comme si mon petit monde venait de s'écrouler autour de moi. Je n'arrivais plus à regarder Anna après l'avoir entendu réclamer un autre homme. J'aurais voulu la secouer et lui demander de me dire qui il était, mais c'était tout simplement impossible. De quel droit aurais-je pu me mêler ainsi de sa vie ? Après tout, nous ne savions rien l'un de l'autre, même si j'avais l'impression de la connaitre depuis toujours. A ce moment précis, je ne savais qu'une seule chose : je vouais une haine sans bornes à cet homme, sans même le connaître.
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Traduction :
* Merci, merci infiniment pour tout !
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Les Ombres du Passé ~ Tome 1 ~ Libère-Moi
RomansaAprès l'immense douleur qu'elle avait connue à la fin de sa première histoire d'amour, Anna s'était jurée de ne plus jamais souffrir en s'interdisant de retomber amoureuse un jour. C'était il y a dix ans... Depuis cette promesse, elle pratiquait le...