Déterminé, je pris une grande inspiration, ce qui me calma aussitôt. Encore tremblant mais concentré, j'entrepris un examen approfondi et je ne trouvai rien à la palpation qui puisse m'indiquer une hémorragie interne ou un autre traumatisme grave. J'en fus immédiatement soulagé. Mais ses yeux étaient toujours fermés.
A son arrivée, je pensais qu'elle était consciente mais je crois que c'était une erreur. Elle avait l'air d'errer dans une sorte de sommeil agité et douloureux. J'aurais voulu y mettre fin mais je me sentais si impuissant. Comme le jour de la mort de ma mère. Je chassai aussitôt cette pensée de mon esprit. Il fallait que je la sauve, elle ! Il fallait que je me concentre !
— Bon, d'après mon examen préliminaire, il n'y a pas de signe d'hémorragie interne. On la monte au scan tout de suite ! Je veux être averti dès que vous aurez les résultats !
— Oui, docteur !
En quelques minutes, le brancard avait disparu et je me retrouvai seul dans la salle 2. Encore sous le choc de ce que je venais de ressentir. J'avais mis tellement de temps à construire pierre par pierre ma forteresse. Un mur infranchissable qui m'interdisait tous les plaisirs de la vie. Le seul que je m'autorisais c'était mon travail, ici, à l'hôpital, sauver des vies. Pour le reste, je me punissais chaque jour. Pas de soirées entre potes, pas de séance cinéma, pas d'amour. Surtout pas d'amour. Je ne méritais pas d'être aimé. Pas depuis le jour où j'avais causé la mort de ma mère et le handicap de mon frère.
Tout ce bel édifice que je croyais indestructible venait d'être très sérieusement ébranlé par une tempête puissante et sans nom. En quelques secondes. J'avais ressenti pour cette inconnue ce que je ne m'étais jamais autorisé à ressentir. Du désir, un besoin de la protéger, une envie de la connaître. Non, non, ce n'était pas possible. Pas ça. Je ne pouvais pas ressentir ça pour quelqu'un. Impossible. Comme pour échapper à tout ce qui me tourmentait, je sortis de la salle 2. Un homme attendait, l'air inquiet. Il faisait les cent pas dans le couloir. Dès qu'il m'aperçut, il me demanda :
— Docteur, je suis le père d'Anna, la jeune fille qui a été percutée par un cycliste. Comment va-t-elle ? Dites-moi s'il vous plait docteur ?
— Bonjour Monsieur. Votre fille est dans un état stable, nous devons attendre les résultats du scanner qu'elle est en train de passer mais il n'y a pas de raison de s'alarmer pour le moment...
Il se sentit aussitôt soulagé et me fit un grand sourire.
— Ah, grazie, merci, merci Docteur !
— Je vous en prie, je viens vous voir dès que j'ai les résultats de son scanner.
— D'accord, d'accord, j'attends ici !
J'avais réussi à faire illusion pendant cette brève conversation avec le père d'Anna, mais à l'intérieur de moi, c'était toujours la tempête. Je fonçai dans la salle de repos et verrouillai la porte. Là, je m'effondrai sur le vieux canapé tout déglingué pour tenter de me ressaisir. Immédiatement, toutes mes pensées se dirigèrent vers elle. Anna... Anna... Sois forte et courageuse, tout va bien se passer. Je ne savais pas vraiment combien de temps j'étais resté là, les yeux fermés, répétant sans cesse son doux prénom tel un mantra. Je fus tiré de ma léthargie par une infirmière qui frappait à la porte :
— Docteur Mercier ? Vous êtes là ? Je vous cherche partout ! Nous avons les résultats du scan cran de Mademoiselle Peretti !
Je rouvris brusquement les yeux et je me précipitai vers la porte pour la déverrouiller.
— Oui, oui, désolé ! Je suis là ! Faites moi voir ça s'il vous plait !
Anxieux, je consultai rapidement les premiers résultats et je constatai qu'il n'y avait pas de traumatisme crânien... Le soulagement m'envahit et je sentis tous mes muscles se relâcher. Je laissai échapper un long soupir libérateur.
Me rappelant soudain la présence de l'infirmière, je lui dis en essayant de paraître le plus calme possible :
— Bon, il n'y a rien de grave, comme je le pressentais, on va quand même la garder en observation jusqu'à demain matin, c'est plus prudent. Vous pouvez l'installer dans une chambre s'il vous plait ?
— Oui docteur.
— Savez-vous si elle a repris conscience ?
— Je ne crois pas docteur.
— OK, mais elle ne devrait pas tarder à revenir à elle, prévenez-moi dès que ce sera le cas.
— Bien docteur.
— Merci, je vais aller donner des nouvelles à son père.
— Parfait !
Savoir qu'Anna n'avait rien de grave m'avait procuré une telle sensation de soulagement que j'avais l'impression de flotter dans les airs, aussi léger qu'une plume. Je ne pouvais réprimer ce sourire béat qui me donnait l'air d'un imbécile, mais je m'en fichais. J'étais tellement heureux en cet instant ! Moi, heureux ? C'était tout simplement une catastrophe. Je n'avais pas droit au bonheur. Mon sourire disparut aussitôt de mon visage. Le regard sombre, je me dirigeai vers la salle d'attente pour donner des nouvelles à son père.
Maintenant que l'angoisse était passée, je pris le temps de l'observer pendant que je lui parlais et il m'apparut immédiatement très sympathique. Il me semblait qu'il prononçait certains mots en italien et je trouvais ça amusant. Je pus lire la joie dans ses yeux lorsque je lui annonçai que sa fille était hors de danger.
A cette bonne nouvelle, il me prit dans ses bras en parlant italien. Je fus surpris par son geste et je ne comprenais rien à ce qu'il disait, mais ce n'était pas grave. Je savais ce qu'il ressentait. Lui aussi était heureux qu'Anna soit saine et sauve. Je lui rendis son accolade et son sourire puis je m'éclipsai rapidement, avant d'être tenté de lui poser des questions sur sa fille.
De retour à l'accueil, l'infirmière qui s'était occupée d'Anna vint me parler :
— Docteur, Anna Peretti est installée dans la chambre 5. Mais elle n'a pas encore repris conscience.
— Bien, vérifiez ces constantes toutes les deux heures et prévenez-moi en cas de problème ou dès qu'elle reprend conscience s'il vous plait.
— Oui docteur.
— Merci !
A ce moment-là, je me rendis compte que j'allais être obligé de la revoir, et même de lui parler, une fois qu'elle aurait repris connaissance. J'attendais ce moment avec impatience mais j'étais en même temps terrifié à l'idée qu'elle puisse deviner le trouble qu'elle faisait naître en moi. Il fallait que je sois fort. Ne rien laisser paraître. Rester professionnel. Être froid et distant. Ça, c'était dans mes cordes.
J'avais adopté ce comportement avec la gent féminine depuis mes 15 ans. Je devrais être capable d'en faire de même avec Anna. De toute façon, je n'avais pas le choix. Hors de question de laisser une femme s'approcher trop près de moi. Tout ça, je me l'interdisais.
Et puis il y avait Adriana, ma Maîtresse. Je n'osais même pas imaginer sa réaction si elle apprenait que j'avais éprouvé du désir pour une autre femme. Elle serait capable de tout. Me punir comme elle ne l'avait encore jamais fait jusque-là. Soudain, mon esprit fut envahi par les souvenirs de nos rendez-vous charnels. Je la revoyais en train de me donner des coups dans le dos, avec ce long fouet noir qu'elle savait si bien manier et que j'affectionnais particulièrement.
Et pour la première fois de ma vie, ces images me mirent mal à l'aise. Je ne saurais dire pourquoi mais pour la toute première fois, je me disais qu'il était peut-être possible que je mérite autre chose. Autre chose que les coups de ceinture ou de martinet. Autre chose que les marques sur mes poignets laissées par les menottes ou les cordes d'Adriana. Oui, autre chose... Mais quoi ?
VOUS LISEZ
Les Ombres du Passé ~ Tome 1 ~ Libère-Moi
RomanceAprès l'immense douleur qu'elle avait connue à la fin de sa première histoire d'amour, Anna s'était jurée de ne plus jamais souffrir en s'interdisant de retomber amoureuse un jour. C'était il y a dix ans... Depuis cette promesse, elle pratiquait le...