Partie 2 - Chapitre 14

15 0 0
                                    

Citadelle d'Avril

Secteur Ouest, Tour cellulaire

L'enfermement est dur à supporter, Nolan a l'impression d'être en prison.

D'une certaine manière, il n'a pas tort puisqu'il ne peut pas quitter la tour. Le seul moyen d'y échapper est de glisser sur la Toile et au cours des rares moments sans surveillance qui lui sont donnés — c'est à dire lorsqu'il est sur le point de se coucher. Nolan ferme les yeux, ouvre ses ailes lumineuses et traverse les murs de sa cage.

La citadelle est belle, vue du ciel. Il ne peut pas la contempler réellement, mais il aime les pulsations douces qu'elle dégage sur la trame. Elle ressemble à une énorme termitière laiteuse qui frémit à chaque respiration.

Les habitants sont comme des lucioles qui s'agitent nonchalamment autour des flammes. La vie palpite et les pierres tressaillent, Nolan est sûr qu'elles sont vivantes. Des bulles de chaleur éclatent, des rubans se nouent et se déchirent par-dessus les murailles : c'est un feu de Bengale silencieux qui explose et retombe lentement sur la forêt du village.

Le temps s'étire et Nolan se laisse porter par la brise des faisceaux. Elle l'emporte, le recouvre et le noie : il n'y a rien de plus grisant que la sensation de liberté absolue que procure le chevauchement des ondes argentées.

Nolan souhaiterait partager son plaisir avec quelqu'un d'autre, mais Silvi refuse toujours de le suivre. Malheureusement pour lui, elle est la seule personne avec qui il pourrait vivre ces instants. Mais elle n'a jamais vraiment aimé ces immersions dans la trame et trouve ça trop dangereux. Et si un Artiste les remarquait ? Pire, que se passerait-il si un des gouverneurs était mis au courant de ses petites escapades nocturnes ? Déjà que leur sort n'est pas brillant : enfermés dans cette tour à tourner en rond.

Silvi espère toujours que les Artistes se montreront plus cléments et qu'ils les autoriseront bientôt à rejoindre les autres apprentis. Nolan, lui, ne se fait pas d'illusions. Leur peine est bien douce par rapport à ce qu'ils auraient dû endurer pour leur fuite. Non, personne ne reviendra sur la sentence, ils sont cloîtrés ici pour un bon bout de temps.

Pour l'instant, les Artistes de la citadelle ne se doutent pas de leur capacité à se fondre dans la trame, du moins pas aussi bien qu'ils savent le faire. Selon eux, leurs aptitudes ne se seraient pas encore suffisamment développées. Qu'ils en profitent alors ! Cette liberté, elle sera certainement de courte durée.

Nolan fait le tour du bâtiment en un battement de paupière, et s'assoit sur le bord du toit, ou fait tout comme, car cette action ne veut rien dire dans cette dimension étrange.

Au-dessous de lui, appuyée à sa fenêtre, Mara contemple la citadelle endormie. Son menton est collé contre le rebord froid, sa main droite soutient son front alors que la gauche se balance nonchalamment dans le vide. Elle rêve les yeux ouverts. Les faisceaux du corps de Mara s'entremêlent avec ceux des pierres de la tour.

Ici, tout ne fait qu'un et n'est qu'un assemblage savant de nœuds. L'« ouvrage », comme il aime l'appeler, émerveille toujours autant Nolan. La délicatesse des fibres, l'exactitude de la trame, la douceur des ondes qui jaillissent du noyau de vie... La vie est vraiment extraordinaire, c'est la magie la plus belle à observer.

Des rubans argentés se détachent lentement du nœud de Mara et virevoltent, bercés par les oscillations. Ils remontent l'échine de la jeune fille, se nouent au niveau de ses omoplates et se diviser au-dessus des épaules. Ils enlacent les muscles fins et palpitants de ses bras, hésitent, puis rebroussent chemin. Ils gravissent finalement son cou clair, s'emmêlent au sommet de son crâne et, comme des cheveux doués de vie, s'élancent et plongent dans le vide. Les rubans tournoient et se tressent. Des fuseaux se forment et se déplacent au hasard dans l'espace, comme portés par une brise capricieuse.

Artistes et PhalangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant