Artistes et Phalanges

Partie 3 - Chapitre 2

Citadelle d'Avril

Secteur Ouest, Tour cellulaire

Mara n'avait plus adressé la parole à Nolan depuis cette étrange soirée, où elle avait livré un petit morceau de sa vie à l'apprenti. Elle aurait alors pu croire à un rêve, et d'ailleurs, elle somnolait lorsque c'était arrivé. Elle aurait pu y croire, si l'expérience n'avait pas été suivie d'une terrible déchirure, d'une douleur extrême qui l'avait comme coupée en deux. Ses souvenirs avaient été extraits, absorbés, bus, littéralement violés. Et il ne lui avait pas difficile de deviner l'origine de ce vol. Elle avait reconnu Nolan, sans même le voir, lorsqu'il s'était plongé en elle. Durant un instant, elle s'est sentie connectée physiquement au jeune homme.

Elle ne pouvait pas lui pardonner, le choc avait été trop grand. Elle s'était vue mise à nue, sans possibilité de se protéger, sans aucune barrière pour repousser l'agresseur. Elle était complètement à sa merci, presque dévorée de l'intérieur. Cependant, cette expérience avait dévoilé autre chose : la proximité soudaine et totale avec le jeune homme avait accroché quelque chose en elle. Mais Mara ne réussissait pas à formuler cette sensation. Elle avait dorénavant une perception légèrement différente de Nolan, une perception indéfinissable. Deux sentiments se bousculaient dans sa tête, une étrange attirance pour Nolan, et une répugnance de circonstance. Cet état la mettait en rage, elle aurait préféré le haïr complètement pour ce qu'il avait fait, pour le viol irréfléchi de sa vie et de ses souvenirs, mais elle n'arrivait pas à lui en vouloir totalement. Et ça, c'est tout simplement inadmissible.

Nolan ne faisait rien pour arranger son cas. Pire, il n'avait même pas tenté une seconde de cacher son geste ou de feindre l'ignorance. Depuis cette nuit, il faisait profil bas. Il avait tout de même essayé de s'expliquer, de s'excuser – il avait fait lui même le premier pas –, mais elle refusait de l'écouter. Il en souffrait visiblement, mais la colère de Mara était insurmontable. Elle aurait voulu lui rendre la pareille, le frapper et le maudire, mais elle n'arrivait pas à franchir le pas. À chacune des tentatives de Nolan pour se justifier, elle fermait les poings, serrait les dents et regardait fixement le sol. À force de la voir s'emmurer dans son silence, Nolan avait fini par abandonner. Lorsqu'il avait cessé de venir lui demander pardon, Mara l'avait presque regretté, bien qu'elle ne sache pas vraiment pourquoi.

Elle voudrait sortir Silvi et Nolan de son esprit, ne serait-ce que quelques heures, mais il faut se rendre à l'évidence : cette tour est trop petite pour trois personnes enfermées. Ils sont systématiquement en contact, il est impossible de s'isoler et de rester seul plus de quelques minutes. C'est une situation que la jeune fille ne connaissait pas jusque là. Elle avait toujours et invariablement su se mettre à l'écart. Pourtant, elle en avait besoin pour se retrouver et respirer, comme elle l'avait toujours fait.

Ses compagnons de cellule, car il s'agissait bien d'une prison, étaient bien trop envahissants à son goût. Silvi, intraitable, exclusive et explosive était une jolie fille insupportable à bien des égards, mais moqueuse dans les pires circonstances et peu délicate avec son entourage. Pourtant Mara pensait s'en être fait, non pas une amie, mais au moins une alliée. Leur relation n'avait rien d'amicale mais était devenue cordiale depuis que Silvi avait pris sa défense dans la salle du Grand Conseil. Mara ne se plaignait pas de ce nouveau rapprochement, cependant elle ne s'en félicitait pas non plus. Silvi restait parfois distante et de l'ignorait quand bon lui semblait. En fait, Silvi ne s'était pas privée de lui faire savoir ce qu'elle pensait de son comportement vis-à-vis de Nolan depuis cette fameuse nuit. Elle jugeait l'attitude de Mara puérile, estimant que les circonstances n'étaient pas si dramatiques. Mais ignorant l'essentiel de cet épisode fâcheux, elle ne pouvait pas comprendre.