Partie 4 - Chapitre 4

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Chaîne de Coton

À proximité de la Gronde

Le groupe s'est remis en marche depuis plusieurs heures. Il marche en silence dans la plaine rocailleuse sous un ciel sombre et chargé de grisaille. Le temps s'est amélioré, la pluie ne tombe plus drue et froide, mais sous la forme d'un crachin saumâtre que l'on oublierait presque. L'air lourd et saturé d'eau écrase la brume qui s'éparpille aux pieds des marcheurs, laissant apparaître de-ci de-là des pierres sales et des franges d'herbes desséchées.

La troupe longe les hautes falaises qui s'envolent loin au-dessus d'eux. Leurs sommets se dégagent de temps à autre quand le vent souffle un peu plus fort. Ils se rapprochent de la citadelle, mais sont encore loin. La rivière s'est détachée de la muraille pour s'éloigner en direction du centre du cratère où siège la cité. Le bouclier luit faiblement entre deux traînées de bruine. Hérak ouvre la marche d'un pas sûr et élastique, guidant le groupe dans la lande battue par les vents. Ils doivent rejoindre la phalange plus loin, là où les flancs de la montagne se font moins abrupts. Selon Lothar, ils en ont encore pour une demi-journée de marche. Le terrain monte en pente douce, le long d'un chemin sinueux qu'il est difficile de repérer par moment. Mais le Monegarn en tête finit toujours par trouver la bonne direction.

Derrière lui, Mélpomène avance d'un pas décidé sans dire un mot. Elle n'a rien dit depuis le départ du camp. Lothar et le commandant ferment la marche, en échangeant de temps à autre des paroles à voix basse. Les trois novices, encadrés de la sorte par les Artistes aguerris, se laissent guidés sans histoire. Silvi et Nolan côte à côte, Mara légèrement en retrait. Celle-ci se sent en pleine forme et croit avoir recouvré toutes ses capacités physiques grâce au coupe-faim d'Hérak. La douleur à l'épaule se fait oublier et la fatigue a disparu.

Elle regarde pensive l'Artiste qui se trouve à quelques dizaines de mètres devant ses camarades. Un Monegarn. Elle ne l'a pas cru sur le coup, ses amis non plus d'ailleurs.

Les gens de son peuple sont tellement... particuliers. Ils sont peu nombreux, pourchassés pour la plupart, mis au ban de la société. Malgré cela, il est toujours difficile de savoir à quoi s'en tenir quand plusieurs Monegarns se retrouvent. Les relations entre eux répondent à des règles et des coutumes strictes. L'honneur et les traditions parfois cruelles prennent une place énorme dans leur code de conduite.

De fait, deux Monegarns de clans qui ne se connaissent pas hésiteront souvent à se faire confiance, voir même à s'adresser la parole. Il ne faut être redevable de personne, surtout pas de Monegarn d'une faction inconnue. Une dette se paie toujours et parfois au prix fort. En aurait-elle une envers Hérak, qui lui a donné un morceau de son coupe-faim ? Mara réfléchit un instant. Non, c'était un ordre de son commandant, pas forcément une action de sa propre initiative. D'autant plus qu'il ne s'est pas présenté avant de lui porter secours. S'il avait dit qui il était vraiment au moment de la soigner, il en aurait été différent. Il est d'ailleurs difficile de voir au premier coup d'œil que l'Artiste est un Monegarn. Son âge a fait grisonner ses cheveux qui, de plus, sont coupés ras. Il pourrait passer pour un vieil homme blond ou roux. Sa peau burinée par le soleil a perdu la blancheur presque livide qui caractérise souvent ses pairs. Sous ses atours d'Artiste en campagne, il est impossible de reconnaître son origine.

Mara pose les yeux sur les omoplates puissantes du guerrier, à l'endroit où doit être tatoué son Ragna. Il est étrange pour un Monegarn, différent de ceux que la jeune fille a eu l'habitude de côtoyer. Est-ce parce qu'il vient d'une autre cité qu'elle, d'une faction dont les coutumes seraient légèrement différentes ? Peut-être, mais Mara ne le pense pas. Ce détachement, cet apaisement que dégage le soldat – sentiment qu'elle ne retrouve chez aucun autre Monegarn –, est-ce dû à son entraînement ? La jeune fille est tentée de le croire. Elle envie tout à coup Hérak. Elle s'accroche à cette idée, espérant un jour pouvoir ressentir le même type de paix intérieure qu'émane le guerrier.

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