Partie 1 - Chapitre 8

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Forêt des Marches

Nord de Vallis

Haine.

Rien que de la haine. Haine envers les coups que l'on a pris tout à l'heure. Haine envers ces morsures sur le dos qui font mal. Mal. Haine envers celui qui a levé le fouet. Haine envers celui qui a donné l'ordre de frapper. Oui, haine envers le maître. Haine et peur. Peur que cela recommence. Haine envers ceux qui ont provoqué la colère du maître. Haine et vengeance. Vengeance. Oui, pour qu'ils sentent eux aussi la douleur. Pour qu'ils la connaissent ! Ils sont là-bas. On les sent. Ils ne vivront plus. Ils souffriront.

Comme un vol de funestes oiseaux noirs et silencieux, les Ombres parcourent la forêt. Bondissant entre les arbres, s'écartant du sol avec souplesse, ils fondent vers une cible invisible. Les bois noirs ne répondent pas. Les ténèbres sont tombées pour toujours. Le déplacement furtif des bêtes couvre l'espace. Leur masse étouffe la forêt. Leur course rapide la défigure, la laissant à l'agonie sur leurs traces. Les feuilles noires se détachent de leurs branches, et se laissent tomber lentement sur le sol.

***

Silvi se sent secouée dans son sommeil. Elle a la désagréable impression d'être arrachée de ses rêves. Lorsqu'elle ouvre les paupières, elle discerne le visage grave de Lothar.

—  Lève-toi, mais lève-toi donc ! Fais ton bagage, on doit partir sans tarder !

La jeune fille se dresse sur un coude, passe une main un peu tremblante sur son front et replace une mèche de cheveux derrière son oreille. Hébétée, elle se tourne vers Nolan. Ce dernier est debout, face au mur de la tour, parfaitement immobile et les yeux écarquillés. Il tient dans sa main un coin de sa couverture.

—  Qu'est-ce qu'il se passe ? murmure Silvi.

—  Nous allons avoir de la visite... Nolan a à peine ouvert les lèvres pour parler.

—  Cela fait plus de cinq minutes que je les sens, renchérit Lothar.   Je ne pensais pas qu'ils seraient dangereux ce soir... Cela fait longtemps que nous ne les avons pas perçus. Mais ils se sont brusquement déplacés... Et ils viennent par ici.

—  Qui sont-ils  ? bougonne la jeune fille en s'extirpant de sa couverture.

—  Sens par toi-même... Le vieillard referme vivement la lanière de son maigre sac.

Silvi se lève et s'approche de Nolan. Elle se place juste derrière lui, et fixe le mur par-dessus son épaule.

—  Dans cette direction, à sept ou huit kilomètres... Nolan ne s'est pas retourné et a presque soufflé ces quelques mots.

Silvi ferme les yeux. Presque instantanément, des fils lumineux se torsadent dans son esprit. Des fuseaux se nouent, le canevas se met en place. Soudain, elle retrouve l'univers tressé et vivant qu'elle avait quitté quelques heures auparavant. Puis elle se concentre dans la direction indiquée par son ami. De longs rubans verts s'échappent de Nolan, et s'élancent de l'autre côté du mur. Aussi vite que la pensée, elle projette sa conscience dans le vide. Elle se déplace à une allure fantastique. Elle rejoint l'orée de la forêt en un battement de cils. Les arbres pulsent doucement. Les fils qui les composent se tordent et gémissent. Mais la jeune fille ne s'attarde pas et sillonne les bois. Par l'esprit, elle suit les fuseaux de Nolan. Elle les enlace, et prenant encore plus de vitesse, glisse sur les ondes émises par l'environnement lumineux.

Puis... violence, peur et panique. Silvi stoppe sa course endiablée. Ses pensées s'enflamment. Elle n'arrive pas à contenir le sentiment d'impuissance et de défaite qui l'envahit. Son cœur —  ou ce qu'elle croit être son cœur —  se serre. Il lui est impossible de bouger.

Artistes et PhalangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant