Partie 2 - Chapitre 4

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Citadelle d'Avril

Quartiers historiques, Grande bibliothèque

Silvi attrape le premier livre qui lui tombe sous la main. Sur la couverture de cuir rouge, un gros  «  1  » à demi effacé est dessiné. En feuilletant rapidement l'ouvrage, elle remarque que les pages, pratiquement toutes rongées, sont couvertes d'une écriture manuscrite fine et rapide.

«  Quand le danger vient,

Que les hommes eux-mêmes se perdent

Ou que des ennemis s'élèvent,

Ils seront toujours là.

Trois esprits, trois porteurs

Tous choisis, avant l'heure.

Avec eux, la victoire est certaine.

Sans eux, se battre n'en vaut pas la peine.

Quand le danger vient,

Que les hommes eux-mêmes se perdent...  »

Le paragraphe est reproduit à l'identique sur le reste de la page. En jetant un coup d'œil sur l'ensemble du livre, Silvi se rend compte que sa totalité porte les mêmes vers  : l'auteur a recopié ces lignes des milliers de fois.

—  Mais... il n'y a qu'un seul et unique poème  !

—  Oui... Et dans une dizaine d'autres ouvrages encore.

Disant cela, Lothar montre vaguement du doigt le reste du rayonnage. La jeune fille prend un deuxième tome. Il est semblable en tout point  : même couverture en cuir frappée d'un «  1  » blanc, même écriture... et même paragraphe.

—  C'est une prophétie, explique-t-il. On les appelle aussi des légendes. Celle-ci est la première... C'est la même chose pour une centaine d'autres  : le même paragraphe, le même poème et parfois la même phrase sont répétés à l'identique. Ces répétitions sont si importantes qu'elles recouvrent parfois une vingtaine de livres gros comme des pavés. C'est le cas de la deuxième prophétie par exemple. Les phrases qui la composent se retrouvent dans vingt-cinq ouvrages. Cette partie de la bibliothèque est imposante n'est-ce pas  ? Il y doit bien y avoir quelques milliers de livres... Mais la totalité pourrait être résumée dans un simple cahier.

—  Qui s'est donné tant de mal pour rien  ? demande Nolan sans même lever les yeux des antiques parchemins qu'il feuillette lentement.

—  Celui-là même qui a écrit toutes les prophéties.

—  C'est-à-dire  ?

—  Le Prophète.

Silvi regarde le vieil homme avec un air désabusé.

—  Mais encore  ? lui demande-elle, une moue au coin des lèvres.

Après avoir longuement fouillé dans ses poches, Lothar sort une nouvelle petite boîte de fer toute ronde. Son couvercle bombé porte l'inscription «  orange – cannelle  », écrite de biais. Il l'ouvre d'un coup de pouce bien placé et une forte odeur de tabac, relevée par le parfum légèrement piquant de l'écorce du cannelier, s'échappe dans la pièce.

—  C'est de cette manière que tout le monde l'appelait. Ce n'était pas un être humain. Il faisait partie des compagnons de route des Amikis et a d'ailleurs disparu en même temps qu'eux. C'est vrai, il n'avait pas leurs pouvoirs ni leur puissance, mais comme chaque Premier, il avait un don tout particulier pour détecter les frémissements de la Toile. Ces visions étaient impressionnantes. Il discernait sans difficulté les différents scénarios possibles du futur. Nous appelons ces écrits des «  prophéties  » par commodité, mais elles ne prédisent pas l'avenir comme nous l'entendons communément. En réalité, elles décrivent des nœuds du canevas que le Prophète qualifiait de «  particuliers  ».

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