Partie 2 - Chapitre 1 (2/2)

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La session de stratégie ressemble beaucoup aux cours que Silvi a suivis à l'école. Du moins, en ce qui concerne son déroulement : il s'agit de l'activité la plus scolaire de toutes. Les apprentis prennent des notes, écoutent et révisent leurs leçons... Rien de bien passionnant. Silvi croyait en avoir fini avec les bancs de l'école et était loin de penser qu'elle devrait à nouveau passer par là. Après tout, ils s'entraînent pour devenir des Artistes... Une des filles lui a dit qu'après avoir assimilé les bases de la stratégie, ils devraient aborder de véritables simulations de batailles en plein air. Depuis ce moment, elle n'espère qu'une chose : que chaque nouvelle session soit la dernière.

Tous les apprentis se dispersent dans l'amphithéâtre. Les cloches se remettent à sonner. Ils se lèvent d'un bond et attendent aussi raide que des piquets les ordres de Panicaut.

L'Artiste se tient à proximité du tableau noir, un sourire carnassier aux lèvres. Il dévisage son auditoire puis sort une baguette de l'un des plis de son pantalon blanc et la pose avec délicatesse sur son bureau. Silvi aime bien Panicaut, Nolan aussi d'ailleurs, car il est le plus souriant de tous les Artistes. Sa discipline n'est peut-être pas la plus intéressante, mais ses explications et ses recommandations ont le mérite d'être claires. Comme les autres membres du Conseil, Nolan n'arrive pas à déterminer précisément son âge. Des tempes blanches, ainsi que de profondes rides autour de ses yeux et de sa bouche trahiraient un âge avancé. Mais l'impressionnante stature de l'Artiste semble contredire cette conclusion, un vieil homme ne pourrait pas posséder une musculature aussi développée. Panicaut n'en est pas moins quelqu'un de chaleureux et il sait se faire apprécier et respecter. Il faut dire qu'il n'hésite pas à sanctionner quand il le faut et personne n'ose remettre en question ses décisions. Pour Nolan, il s'agit d'un Artiste de confiance, au contraire de Tibesti et de Finépine qui font tout pour le pousser à la faute.

— Bien... Asseyez-vous, jeunes gens !

Les apprentis prennent place derrière leurs pupitres dans un même élan. Panicaut les dévisage à nouveau sans oublier de sourire puis claque des doigts. Un livre marron apparaît devant chacun d'entre eux, un peu au-dessus de leurs têtes. Les ouvrages s'écrasent sur les tables dans un bruit sourd et sous le choc, s'ouvrent d'eux-même à la page du jour.

— Bien ! Dans cette phase préliminaire, nous en étions à l'étude de l'Art de la Guerre de Sun Tzu, considéré comme le premier traité d'Arts militaires au monde... Je vous le rappelle, malgré leur ancienneté, ces textes restent encore intéressants. Même si les enseignements et conseils qu'ils donnent deviennent caducs lorsque l'on utilise l'Art au cours d'une bataille, il est nécessaire de les connaître sur le bout des doigts. Vous ne saurez jamais à l'avance le tournant que prendra un combat, et dans certaines situations – je dis bien certaines – les conclusions tirées par cet ouvrage restent d'actualité... Il en est de même pour tous les autres textes que nous avons étudiés et que nous étudierons. Ce n'est qu'ensuite, lorsque vous aurez assimilé toutes les autres, que nous verrons quelles sont les stratégies propres à l'utilisation des Arts. Donc, en ce qui...

Panicaut ne finit pas sa phrase et se tourne brusquement vers les apprentis en fronçant les sourcils d'un air mauvais. Il lève une main et claque des doigts, la craie jusqu'alors inerte sur le bureau pivote d'un coup. Comme le ferait une flèche tirée d'un arc, elle s'élance en direction de la salle et vient exploser sur le bois de l'amphithéâtre à quelques centimètres de la tête d'un novice. Toute l'action s'est déroulée en un éclair, laissant juste le temps nécessaire à l'assistance pour sursauter. Le cœur de l'apprenti visé doit battre à la chamade. Il tente de recouvrer son calme en soufflant doucement sans pouvoir détacher son regard de la baguette encore vibrante.

— Quel est votre problème, monsieur Basile ?

— Je... Aucun monsieur, lui répond le jeune homme en tremblant.

— Voyez-vous ça ! Que racontiez-vous à votre voisin, monsieur Basile ?

— Ri... Rien, monsieur.

Nolan secoue la tête. Si cet apprenti n'a toujours pas compris qu'un Artiste pouvait entendre n'importe quel chuchotement...

Ce n'est d'ailleurs pas très difficile à faire, il suffit de se concentrer, on n'a même pas besoin de tisser la Toile pour ça. Face à un Artiste expérimenté comme Panicaut, mieux vaut ne rien dire de désobligeant. Pour être tout à fait honnête, il est préférable de garder ses pensées pour soit.

— Vraiment ? N'avez vous pas dit – je vous cite : « Vivement que l'on passe à autre chose ! Il me saoule avec ses vieux bouquins de... ». Excusez-moi, je ne souhaite pas répéter votre dernier mot... Alors monsieur Basile ? N'avez-vous pas prononcé cette phrase ?

L'apprenti devient aussi blanc qu'une feuille de papier et bredouille de vagues excuses.

« Quel imbécile ! » soupire Silvi. Tout le monde dans la salle avait pensé comme lui, mais personne n'avait osé le souffler à son voisin en étant dans la même pièce que l'instructeur. S'il y a bien une chose que Panicaut demande aux novices, c'est d'être assidu et de prendre au sérieux sa discipline. Il a beau être un Artiste sympathique, il a aussi sa fierté et ses défauts. En tout cas, en voilà un qui va passer une mauvaise nuit.

— Monsieur Basile, permission de soirée suspendue. Corvée de balai. La cour en a besoin.

Puis il rajoute en montrant largement les dents :

— Trois heures...

Basile se fait tout petit sur son banc. Il n'a pas intérêt à contester la sanction. Panicaut se retourne et reprend son monologue comme si de rien n'était. Les apprentis sont, eux, beaucoup plus tendus et plus personne ne s'autorisera le moindre commentaire tout le reste de la matinée.

Artistes et PhalangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant