Artistes et Phalanges

Partie 2 - Chapitre 12

Citadelle d'Avril

Secteur Est, Grand Cloître

Les mains dans les poches, Josic traverse nonchalamment le grand cloître en sifflotant des bouts de chansons que son frère aîné lui apprenait sur les docks du port de Novembre.

Dans deux heures, il faudra retourner aux dortoirs et pour l'instant tout le monde fait mine de l'oublier. Les instants de tranquillité sont assez rares à la citadelle d'Avril, la fin de journée en fait partie. Les heures perdues entre le dîner et le couvre-feu sont les seuls moments de réelle détente.

Il n'est pas le seul à rêvasser sur la grande place, d'autres apprentis font de même et traînent lentement par petites bandes en profitant autant que possible de la soirée.

D'autres ont envahi le versant ouest de la cour, à l'ombre des tours, pour le transformer en terrain de sport.

Divisés en deux groupes, ils se lancent les uns les autres une balle molle de cuir grosse comme un poing et s'égosillent dès qu'un novice la laisse s'échapper et s'écraser au sol.

Les règles du jeu sont assez simples : dans un carré d'à peu près vingt mètres de côté, tracé de la pointe d'une chaussure dans les graviers, les joueurs ne peuvent utiliser que leurs pieds pour se passer la balle. Ils ne peuvent jongler plus de trois fois avec et ont l'obligation de la renvoyer à quelqu'un d'autre, que celui-ci se trouve dans leur équipe ou non. Si ce dernier est incapable de la transmettre à nouveau, il sort de la partie. En revanche, si le ballon n'a visiblement aucun destinataire, ne touche personne et tombe au sol, c'est le lanceur qui est éliminé. Bien entendu, les participants sont obligés de jouer le jeu. Si l'un d'entre eux esquive sciemment la trajectoire de la balle, il est exclu immédiatement du terrain.

Au jeu du « boulet rouge », en référence à la forme et à la couleur du ballon, le premier groupe qui se voit réduit à une seule personne a perdu. Ce jeu allie adresse, rapidité et esprit d'équipe. Il n'est pas rare de voir un apprenti se jeter au sol pour sauver au dernier moment le tir mal ajusté d'un partenaire, quitte à se faire éliminer par la même occasion.

Josic n'a jamais été adroit, et les rares fois au cours desquelles il s'est essayé à ce sport ont été catastrophiques. De toute façon, courir et s'agiter n'ont jamais été sa tasse de thé. Il préfère, et de loin, s'appuyer contre une des colonnes de la grande cour et regarder les autres s'amuser. Cela lui suffit amplement.

C'est d'ailleurs ce que Josic prévoit de faire : s'asseoir à l'ombre d'une arcade. Mais il ne va pas s'adosser à n'importe quel pilier, en fait, il ne va pas réellement admirer la partie de boulet rouge qui est en train de se disputer à quelques mètres de là.

Même s'il vient s'accroupir face au groupe de joueurs, il s'intéresse plutôt à une des tours qui apparaît de l'autre côté du grand cloître. Cela fait une semaine entière qu'il répète ce petit manège, depuis qu'il a cru apercevoir quelqu'un se pencher à l'une de ces meurtrières.

Mardi dernier, il traînait à peu près au même endroit avec ses amis Gurvan et Keiran. Ils discutaient de tout et de rien, de filles surtout, et en particulier d'une certaine Éliane, qui intéresse de très près Gurvan.

C'est tout à fait par hasard si Josic a levé la tête à ce moment-là. Les tours des murailles-ouest sont assez éloignés de la cour, elles ne se trouvent d'ailleurs pas dans la même partie du château, il faut traverser deux grands ponts pour entrer dans ce secteur. À cette distance, il est impossible de reconnaître quelqu'un accoudé à une fenêtre.

D'une manière générale, cela n'aurait pas interpellé Josic d'apercevoir quelqu'un au sommet de l'un de ces donjons. Après tout, c'est tout à fait envisageable. En revanche, surprendre pendant quelques instants une tête encadrée de cheveux rouges sortir par une des ouvertures est beaucoup moins anodin. Il ne connaît qu'une personne de la citadelle correspondant à ce signalement, car il n'y a qu'une seule Monegarn dans toute la cité.