Partie 3 - Chapitre 12

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Chaîne de Coton

Territoire des Marches

Précipice de la Corne

Lothar se rapproche du feu des quelques officiers de la phalange. Les Artistes se sont regroupés autour de plusieurs foyers, dispersés sur la corniche, à couvert de la neige qui continue de tomber par intermittence. L'armée composée d'une centaine d'Artistes aguerris s'est arrêtée à l'ouverture de la caverne, sur le plateau suspendu qui perfore le flanc de la montagne.

Leur position est idéale : ils sont au creux de la falaise et masqués derrière une chute de rocailles qui les protège du vent et du froid. Le point de vue surplombe de trois cents mètres la cuvette montagneuse où se cache la citadelle d'Avril... La cité devrait se trouver en contrebas, plus au centre du bassin, mais il est impossible de percevoir les reflets du bouclier qui la protège. C'est étonnant d'ailleurs, car la distance qui les sépare d'Avril est désormais relativement faible. Elle devrait être perceptible, au moins par intermittence.

Le temps s'est complètement déréglé. Pour une raison inexplicable, le niveau où se trouve la phalange est balayé par des tempêtes de neige gelée alors que, plus bas, les pentes du vallon semblent complètement épargnées. Là-bas, les chutes de flocons disparaissent comme par maléfice et, plus étonnant encore, à quelques dizaines de mètres en contrebas, c'est une pluie fine et âcre qui lessive les rares rochers qui culminent au-dessus du brouillard.

— Je ne détecte aucun signal de la citadelle, lance Lothar à son entourage en étendant les mains au-dessus du feu pour se les réchauffer.

Deux officiers ronchonnent, puis se concentrent à nouveau sur leurs pains de réserve. Kamir hausse les épaules.

— Après tout, Lothar, n'est-ce pas le propre de notre cité, ne donner aucun signe de vie ?

— Justement, c'est ce qui m'inquiète, ajoute le vieil homme en s'asseyant à côté de lui. Normalement, Avril émet toute une série de signaux répulsifs pour décourager les curieux de s'approcher... Sur un humain, que je qualifierais de « normal », les ondes dégagées s'assimilent à un sérieux désir de rebrousser chemin, avec la certitude désagréable de se trouver sur une route très dangereuse, même si son objectif initial était de traverser la vallée par son centre...

— Je sais bien tout ça, je ne suis pas un de vos apprentis, grogne Kamir, passablement fatigué de s'entendre faire la leçon. Mais vous voyagez avec une phalange... Ce qui veut dire qu'on se protège de ce type d'effets. Mes gardiens ont tissé les protections adéquates, et à ce petit jeu, il sont les meilleurs ! Cela ne m'étonne pas que vous ne ressentiez rien, nos défenses contrecarrent ce type de sort de répulsion... ajoute-t-il d'une voix forte.

— Ne vous en faites pas, reprend Lothar, je ne remets pas en cause les compétences de vos hommes, rassurez-vous, je suis convaincu de leur efficacité.

— Alors, où est le problème  ?

— Ce n'est pas que je ne sens rien... En réalité, je ne vois rien, c'est cela qui m'inquiète...

Les yeux du commandant se plissent à l'annonce énigmatique du vieil homme.

— Que voulez-vous dire par là ? Il n'y a rien de particulier à voir...

— Bien plus que vous ne le pensez. Les protections de la citadelle déforment la Toile de l'espace et du temps d'une manière bien définissable... Aujourd'hui, je ne peux pas voir ces ondulations, c'est très troublant...

L'Artiste rumine son morceau de pain dur comme une planche de bois. Deux officiers s'échangent quelques mots à voix basse.

— Vos dons de vision sont légendaires... murmure le commandant Kamir en pesant lentement toutes les syllabes. Si j'arrive moi-même à percevoir quelques petites choses de la trame, je suis bien incapable de voir de telles vibrations... Dites-moi, ajoute-t-il en faisant mine de réfléchir, c'est cela, la force d'un Porteur ? Cette vision absolue ? Ou bien ce don a chez vous une autre origine...

Artistes et PhalangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant