Partie 1 - Chapitre 2

72 7 2
                                    

Ville de Montwreck Nord de Vallis

                                                                           
Ténèbres.

La caverne se noie dans l'obscurité. Au sol, un long filet d'eau noire et opaque ruisselle sans bruit. La mort, elle-même, plane entre des volutes de fumée sulfureuses.
Aucun son ne transperce le silence suffocant, si ce n'est le souffle provoqué par le déplacement furtif de quelques ombres oppressantes. Celles-ci bondissent, rampent, et se fondent dans la pénombre aussi rapidement qu'elles sont apparues.

Hurlements.

Un vacarme impressionnant brise le silence de mort. Un mécanisme se met en marche. Les silhouettes s'agitent. Des grognements s'élèvent, lorsqu'une fine bande de lumière suinte au niveau du sol. Elle grandit en mesure avec les grincements métalliques.

Les ombres se bousculent et se font plus nettes. De gigantesques bêtes surgissent. Leurs griffes sont aussi longues que des mains. Leurs pelages drus et noirs glissent sur des musculatures puissantes. Des crocs terrifiants, pareils à des poignards, sortent de leurs babines sombres et retroussées, tandis que leurs yeux sanglants fixent l'ouverture lumineuse. La stature impressionnante des monstres n'est qu'un pâle reflet et de leurs forces dévastatrices.
                   
Silence.
               
Le mécanisme s'est arrêté. Face à l'entrée, les bêtes ne bougent plus. Puis sans bruit, comme d'un seul corps, elles bondissent dans la lumière.
                  
***
                                                                                       
— Voilà, ce sera tout pour aujourd'hui !
                   
Le vieillard regarde les enfants assis sagement autour de lui. Il est lui-même confortablement installé sur de gros coussins, une longue et très large écharpe dorée retombe sur ses genoux. Il serre dans sa main gauche un crayon de couleur et caresse de l'autre ses favoris argentés. Face aux tout-petits, il a calé un grand morceau de carton blanc contre le mur. Son fusain vient juste de se soulever d'un coin de la feuille. On peut y voir, griffonnée en quelques traits, l'esquisse d'une bête qui se débat pour s'échapper du cadre. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à s'agiter sur le papier, car une étrange scène couvre la totalité de la carte : des bonshommes en armures rutilantes, des monstres et des chevaliers s'emmêlent et se disputent. Ils s'étreignent avec force et se poursuivent dans le même coup de fusain. À l'aide de quelques courbes rapidement esquissées, le vieillard illustre et anime directement les aventures de ses contes. Il ne s'arrête jamais ni de bavarder ni de dessiner, et cela donne à ses croquis quelque chose de magique. D'habitude, les formes se contentent de changer de couleur à l'instant où la craie légèrement brillante réfléchit les lumières du feu. Mais parfois, elles semblent réellement prendre vie lorsque le vieil homme parle. Quand il s'agit d'un oiseau, c'est un rossignol ou un pinson qui bat imperceptiblement des ailes. Souvent, une fleur ploie doucement sous le souffle de la bise qui caresse un jardin merveilleux. C'est en partie pour cela que les petits aiment ses histoires. Ses contes sont de vraies merveilles en mouvement et les enfants ne les manqueraient pour rien au monde. Mais voilà déjà qu'ils soupirent :
                  
— Allez, Lothar, dis-nous ce qu'il va se passer ! S'il te plaît ! Ils vont les tuer ? Les kaurocs vont les attaquer ? Raconte-nous, comment vont faire les gens pour s'en sortir, puisqu'ils ne peuvent pas se défendre ? supplie un petit garçon que l'histoire passionnait.
— Et bien moi, répond un autre, moi je suis sûr que les kaurocs vont les avoir... Ils sont trop nuls les chevaliers !
— Non, ce n'est pas possible ! s'exclame le premier garçon. Je te ferais dire que les kaurocs, ce sont les méchants... Allez, Lothar, tu nous racontes la fin ?
— Non Ordon. Si tu veux connaître la suite, tu feras comme tes copains : tu reviendras demain, lui explique le vieil homme.
— C'est pas juste ! renchérit une fillette qui joue avec les franges de sa robe. Tu as déjà dit ça hier et tu avais promis de terminer aujourd'hui !
Et tout ce petit monde répond en cœur :
— Oui, on veut savoir !
Lothar aime beaucoup les enfants. Il sait très bien que s'ils insistent, il ne pourra pas leur résister. Il rit doucement devant toute cette agitation et prend plaisir à les taquiner. Deux gamins se querellent alors que le reste de la troupe parle de plus en plus fort. La maîtresse restée jusqu'alors en retrait tente de rétablir l'ordre. Elle frappe des mains et réclame le silence, sans trop de conviction. Excités par l'histoire, les enfants deviennent vite insupportables. Ils se lèvent et commencent à se battre. L'un est persuadé d'être un grand guerrier, l'autre imite les hurlements d'un monstre. L'institutrice rouspète et gronde un garçon qui vient de griffer une de ses camarades. Elle en attrape un deuxième par la culotte et lui intime l'ordre de rester assis. De l'autre côté, un petit groupe espère toujours que Lothar changera d'avis : ils le pressent et le supplient de continuer. Mais le vieil homme campe sur sa position et secoue la tête en riant. Vexé de ne pas pouvoir en savoir plus, l'un des enfants hausse la voix pour clairement se faire entendre.

Artistes et PhalangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant