Partie 4 - Chapitre 1

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Citadelle d'Avril

Quartiers historiques

La citadelle est calme. Une ambiance feutrée s'est installée dans ses quartiers, comme pour ne pas brusquer les monstres qui rôdent dans ses allées. Les couloirs sont vides et empestent l'odeur âcre laissée par les incendies qui ont ravagé la cité. Les soldats à la solde de Panicaut ne s'y attardent pas, de peur de faire une mauvaise rencontre dans un virage. Ils restent le plus souvent cloîtrés dans la garnison.

Personne ne se rend dans la pièce sombre qui abrite la Pierre. Personne, si ce n'est Panicaut qui s'en réserve l'usage exclusif. Il y passe du temps, beaucoup trop selon Finépine. Aujourd'hui encore, il y est resté enfermé toute la matinée.

***

Panicaut se redresse avec difficulté, épuisé et trempé de sueur. Il croit devenir fou. Il s'appuie sur le bord de la Pierre, désormais aussi froide qu'un bloc d'acier. Les arabesques qui la recouvrent se sont figées, comme des rides pourpres gravées dans les parois.

Bientôt, il sera obligé de lâcher prise, il ne pourra plus lutter. L'étau qui lui comprime l'esprit devient trop vigoureux : de jour en jour, il engourdit un peu plus ses pensées et des instants de son existence finissent par lui échapper complètement.

En pleine journée, Panicaut a souvent l'impression de se réveiller d'un songe abrutissant. Cela se produit sans aucune raison et à tout moment, quand il discute avec l'un de ses lieutenants par exemple. À chaque fois, il est concentré sur son activité de l'instant, en pleine possession de ses moyens, puis soudain, tout devient flou. Les sons lui parviennent de façon distordue et il bascule dans un puits sans fond. Il éprouve le sentiment étrange de sortir d'une caverne sombre et humide, les pensées engluées dans une mélasse nauséabonde. Les personnes qui l'entourent le regardent alors d'un air effrayé, comme s'il venait de dire une monstruosité ou d'agir de manière déplacée.

La première fois que le phénomène s'est produit, le gouverneur l'a mis sur le compte du surmenage et des longues heures de concentration que lui demande la Pierre. L'outil magique requiert beaucoup d'énergie, son usage ne se fait pas sans douleur ni sans effort. Il s'épuise. Mais Panicaut en a besoin pour accomplir sa tâche.

Les recommandations de la Pierre se sont toutes révélées de bons conseils. Sans elle et sans ses arcanes mystérieuses, il n'aurait jamais pu s'emparer aussi facilement de la citadelle. Malheureusement et à son grand désespoir, ces temps d'absences se font de plus en plus longs.

Au début, ces parenthèses temporelles ne l'ont pas inquiété car elles étaient à peine perceptibles. Mais en s'allongeant, elles sont devenues gênantes, voire angoissantes. Plus il interrogeait la Pierre, plus il s'oubliait. Plus il expérimentait les mystères dangereux de l'objet, plus il s'évanouissait longuement. Aujourd'hui, le moment d'absence s'est entendu toute la matinée : si cela continue, il ne se réveillera plus. Mais il doit aller de l'avant, il n'a pas le choix. La Pierre l'appelle sans cesse, et il a besoin de son pouvoir pour retrouver les gouverneurs en fuite. Ses ennemis sont trop dangereux, le risque est immense. Ils pourraient rejoindre une phalange et la forcer à reprendre le contrôle de la cité. Dans ce cas, il n'est pas sûr de l'emporter. Il a besoin de plus de puissance, d'une armée plus forte et à ce jour, seule la Pierre peut lui apporter la force nécessaire.

Panicaut jette un œil à l'artefact juché sur son piédestal. Il doit absolument reprendre contact avec lui. Quitte à en perdre la vie.

***

Finépine regarde par-dessus le muret la cité qui s'étend en contre bas. Une odeur nauséabonde monte à ses narines, comme échappée de la fosse d'un bourbier. Elle fronce le nez et remonte son col jusque sous les yeux en guise de masque de fortune. La citadelle fait grise mine et patauge dans la boue. La ville est toujours vivante, elle panse ses plaies ouvertes aussi vite qu'elle le peut. Quelques toits brûlent encore et des gardes sont affairés à les éteindre. Parfois, une suie rougeâtre recouvre des murs branlants qui se boursouflent lentement. C'est comme une maladie rampante qui s'étend aux quartiers voisins. Les parois suintent dans les ruelles qui charrient des débris crasseux à n'en plus finir. La cité essaie de contenir cette contagion. Elle érige tant bien que mal de nouvelles tourelles et des bâtiments neufs, mais le temps joue contre elle.

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