Chapitre 10 - 1

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Une prostituée est morte, cette nuit-là.

Une de plus sur les trottoirs de Londres qui laissa négligemment son estomac s'étaler sur les pavés et les pavés s'imprégner de son sang, le visage gravé d'une quiétude funeste. Noyée dans sa robe rouge qui se déployait autour de son cadavre comme des pétales de rose, elle semblait presque digne et innocente, une vierge au regard glacé par un mélange d'effroi et de lassitude, alors que l'ombre de son assassin planait toujours sur sa silhouette inerte.

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Mais alors que le jour venait seulement de recouvrir ce corps d'une fine pellicule dorée, Liz, elle, écrivait. Assise à sa coiffeuse, une main atour d'une plume et les autres remuant au fur et à mesure de l'invasion de l'encre sur le papier, elle s'était plongée avec passion dans cette rédaction et ne remarqua pas la présence féline qui venait de faire irruption dans sa chambre. Les yeux figés sur ces lettres qui valsaient au rythme de ses doigts, elle sentait les effluves du liquide noir lui chatouiller les narines comme pour l'inviter à l'inspiration.

« Il y en a qui ont essayé avant toi, tu sais. »

La jeune fille sursauta. Dans un geste vif, une de ses mains eue le réflexe de refermer le carnet sur lequel elle était en train d'écrire, puis resta posée sur sa couverture comme pour le protéger. Carry s'approcha, les pattes sur les hanches, et se posta dans le dos de Liz pour jeter un coup d'œil à ce manuscrit :

« Journal intime, hein ? »

La chatte recula et alla s'assoir sur le lit :

« Si tu crois que ça va pouvoir t'aider à surmonter ta petite vie de putain, tu te trompes Lizzie. Ecrire les choses, ça ne les efface pas. Bien au contraire, ça leur donne une importance beaucoup trop inutile. »

Sans gêne ni hésitation, Carry s'étala sur le matelas et s'étira en ronronnant. Liz ne se retourna pas :

« Tu penses être à la bonne place pour me dire quoi faire ? »

Elle lâcha un rire silencieux, un rire ironique et méprisant, et fit glisser jusqu'à elle une boite qui se trouvait au bord de la coiffeuse.

« Je préfère écrire que donner des coups de fouet. »

Carry se redressa, souriante, presque fière :

« Ose me dire que ça ne t'a pas plu. »

Le dos nu de l'adolescente rebondit lorsqu'elle haussa les épaules avec indifférence. Silencieuse, elle ouvrit la boite, y glissa délicatement le carnet et la referma aussitôt à clef, comme si elle redoutait que quelque chose n'en sorte. La chatte ferma un instant les yeux :

« Qu'est-ce que c'est ? »

Liz caressa le couvercle sculpté du bout des doigts avec une émotion sincère, comme si chaque creux, chasse bosse taillée provoquait en elle une vague de nostalgie qui remontait jusqu'à ses yeux pour y faire briller une étincelle de regret. Elle sourit doucement :

« Une vieille boite à musique, elle ne marche plus. »

Elle se retourna vers sa collègue :

« C'est ma mère qui me l'a offerte, avant de mourir. »

Carry remua parmi les draps défaits, comme un félin mal installé :

« Et ton père ?

— Il m'a envoyée dans un orphelinat et je n'ai plus eu de nouvelles. J'imagine que ce n'est pas une grosse perte. »

La Chatte ouvrit les yeux sur un regard empli d'une nonchalance désinvolte :

« Au moins, tu les as déjà vu, toi, tes parents. »

Elle se glissa jusqu'au bord du lit et se leva :

« La plupart des employés ici n'ont jamais entendu parler de leur famille. Ce n'est même pas un manque, c'est quelque chose d'inconnu pour eux. »

Elle se dirigea vers la porte en traînant des pieds :

« Et ils ne s'en plaignent pas. Tu devrais en faire de même : ici, ta famille, c'est nous. »

La Maison des InhumainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant