Chapitre 10 - 3

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Les sœurs siamoises étaient en pleine discussion lorsque le Vampire fit irruption dans leur bureau sans frapper, laissant la lumière du couloir se déverser sur leurs tapis empoussiérés. Comme une comète fonçant à toute allure sur sa cible, Peter marcha si vite vers le duo qu'il se transforma le temps de quelques secondes en simple feu follet blanchâtre enveloppé d'une brume noire, une simple ombre aussi furieuse qu'une mer déchaînée. Finalement, il plaqua ses deux mains sur le meuble et demanda devant les regards impassibles des deux sœurs :

« Où est Alice ? »

Jane adressa un regard nonchalant à Mary puis posa la tasse qu'elle avait dans la main :

« Là où tu l'as envoyée, Peter. »

Le jeune homme se redressa lentement, la lumière creusant peu à peu des ombres graves sur son visage d'ivoire, alors que la propriétaire le gratifiait d'un sourire narquois. Levant le menton, il secoua doucement la tête :

« Vous n'arriverez pas à me culpabiliser. »

Jane haussa les épaules :

« Tant mieux, ça réduira notre taux de suicides. »

Puis, baissant le regard, elle entreprit de faire glisser une cigarette hors de son étui. Bientôt, une fumée grisâtre commença à s'élever au-dessus des trois têtes pour s'empaqueter sous le plafond dans un nuage toxique et malodorant. Mary observa un instant sa sœur avec appréhension puis se tourna vers Peter :

« C'était soit elle, soit toi.

— Elle a décidé de prendre ses responsabilités, alors sois en heureux. »

Une boulette de cendre chuta délicatement de la cigarette pour s'écraser contre le bureau :

« Rien que par respect. »

Le jeune homme resta droit, immobile et silencieux, telle une statue chryséléphantine aux yeux incrustés de rubis, puis recula d'un pas. Ses lèvres remuèrent comme d'elles même :

« Comment est-ce que vous faites pour être aussi tordues ? »

Comme seule réponse, Jane cracha un petit rire satisfait qui résonna dans toute la pièce en ricochant contre les lampes suspendues, alors que sa sœur croisait les bras avec dépit :

« On ne pouvait pas faire autrement. »

La cigarette frappa le bord d'une coupole en métal et la voix rauque de Jane recouvrit le tintement :

« Nous sommes déjà généreuses de ne pas l'avoir obligée à avorter. »

Un des sourcils de Peter tressaillit. Dans un silence pesant, le mépris laissa peu à peu sa place à l'effarement. Alors il demanda :

« Elle était enceinte ? »

Mary opina, mal à l'aise, presque désolée. Le dos soudainement parcouru par un frisson sordide, l'albinos secoua la tête, beaucoup plus triste que furieux. Il finit par prononcer avec une étrange empathie :

« Vous êtes des monstres. »

Jane sourit :

« Pas plus que vous tous. »

Peter ne l'écouta pas et commença à reculer,silencieux et abattu. Alors il s'en alla lentement, ayant perdu la force d'en vouloir aux siamoises qui disparurent peu à peu dans leur fumée grise, comme des tueuses dans le brouillard londonien. Tel un spectre retournant dans son caveau, une enveloppe charnelle vide qui tenterait de tenir debout, il traîna sa carcasse blanchâtre jusqu'à la porte. Mais avant qu'il ne la passe, Jane l'interpela :

« D'ailleurs, Peter, par rapport au cadavre... »

Il s'arrêta mais ne prit pas la peine de se retourner. La propriétaire enchaîna tout de même :

« Félicitation, c'est du beau travail. »

La Maison des InhumainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant