Chapitre 7 - 1

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Ses ailes habilement repliées dans le dos, l'Ange se servit un verre de vin rouge et se retourna vers le jeune homme qui était assis juste en face du lit, dans un fauteuil de satin noir. Il lui sourit :

« Vous êtes nouveau ici ?

— Oui. »

Une sacoche entre les pieds, l'étranger jeta quelques regards curieux autour de lui, ébloui par le mobilier vêtu de blanc et l'immense lustre de cristaux entrelacés de plumes qui pendait au centre de la chambre. Cette dernière était particulièrement grande et lumineuse, angélique comme un confortable nuage au cœur des plus ignobles ténèbres. Une ronde de grand miroirs tapissaient les murs et encerclaient les meubles pour construire un immense palais blanc, réfléchissant en kaléidoscope le lit rond qui semblait valser dans cet océan de verre, dessinant à l'infini les courbes voluptueuses de l'Ange, jouant enfin avec les rayons lumineux pour les faire sauter de reflet en reflet. C'était un labyrinthe merveilleux envahi de plumes virevoltantes, un puit de lumière d'où on ne pouvait plus sortir, si bien que la porte elle-même semblait s'être perdue.

Le client, quelque peu impressionné, enleva sa casquette, dévoilant une chevelure d'ébène bouclée dont les mèches semblaient rouler en vague vers le côté droit. Cela amusa l'Ange qui but une gorgée d'alcool en balançant les hanches en rythme, sa chanson habituelle au bout des lèvres. L'inconnu baissa alors les yeux sur le parquet ciré, comme un enfant timide, puis les releva en demandant d'une voix calme :

« Comment vous vous appelez ? »

Le prostitué trempa de nouveau ses lèvres charnues dans l'onde sombre de son vin et s'assit sur son lit immaculé en croisant les jambes :

« L'Ange, comme on a dû vous le répéter toute la soirée.

— Non, comment vous vous appelez vraiment ? »

Surpris, l'Ange se dressa et plongea ses yeux bleus dans ceux purs du jeune homme, cherchant une quelconque explication dans les reflets espiègles qui illuminaient ces deux pupilles sombres. Il finit par demander, presque gêné :

« Pourquoi est-ce que vous voulez savoir ça ? »

Le client lui sourit affectueusement :

« Vous devez bien avoir un nom. Vous ne vous appelez pas Ange, n'est-ce pas ? »

Le prostitué resta un instant silencieux, méfiant mais touché, et finit par dire simplement, avec une voix dans laquelle pointait une once de honte :

« Nicolas. Nicolas Fontaine. »

Il se tut, le visage grave. Alors même qu'il était habillé, il se sentait étrangement nu, comme entièrement dévoilé et offert. On ne lui avait jamais demandé son prénom et maintenant, il se sentait ridicule, vulnérable. Il se pressa alors d'ajouter pour dissiper son malaise :

« J'ai des origines françaises. »

Le client sourit de nouveau :

« Ça se voit. »

Nicolas haussa un sourcil :

« L'accent ?

— Non, le vin. »

L'ange lâcha un léger rire cynique et se retint de porter une nouvelle fois le verre à sa bouche, saisi par une curieuse volonté de faire bonne impression. L'homme le regarda avec affection, comme s'ils étaient soudainement amis :

« Matthew Lewis. Je suis artiste. »

Nicolas, les pupilles accrochées à celles de son interlocuteur, hocha la tête d'un air égaré, tapotant nerveusement le pied de son verre avec son index. Il était déstabilisé et ne savait pas quoi faire, perdu entre cette pudeur qu'il n'avait jamais rencontrée en ces lieux, cet inconnu qui semblait prendre plaisir à l'écouter parler, et le bruit clair de son ongle contre le verre qui ricochait sur tous les miroirs. Les ailes frétillantes d'impatience, il se leva brusquement en faisant voler sa redingote et se dirigea vers un gramophone qui se dressait sur la commode, discret. Bientôt, les violons d'une danse orientale s'élevèrent dans cette cage de cristal et commencèrent à langoureusement glisser à la surface des glaces. Nicolas ferma un instant les yeux pour sentir la musique ramper jusqu'à lui, puis il se retourna pour faire face à son client en ouvrant ses paupières sur un regard profond, l'expression même de la sensibilité au cœur d'un visage calme. Il affirma avec une soudaine timidité :

« Je ne connais rien de plus bouleversant que les morceaux de Tchaïkovski.

— Vraiment ? Pourtant, il y a mieux. »

L'ange se rassit sur le lit et finit son verre de vin avant de lancer un regard interrogateur à Matthew. Ce dernier haussa les épaules d'une manière évidente :

« Il y a vous. »

Nicolas lâcha de nouveau un petit rire moqueur, plus à l'encontre de lui-même qu'à celle de son interlocuteur, et passa une main dans ses cheveux blonds :

« Vous plaisantez, n'est-ce pas ? »

Le sourire de Matthew s'effaça pour se mouvoir en grimace perplexe :

« Pas du tout. Vous êtes talentueux.

— Je suis actuellement beaucoup plus saoul que talentueux.

— L'un n'empêche pas l'autre. »

Nicolas leva les yeux au ciel et posa son verre à côté de son lit, manquant de le faire tomber. Il croisa alors son regard alcoolisé dans un miroir et sentit un filet de haine couler de ses pupilles pour le frapper en plein cœur. Le jeune homme en face de lui ne s'arrêta pas :

« Vous êtes ma plus belle découverte. Vous êtes merveilleux. »

L'Ange ne dévia pas les yeux de son propre reflet et murmura :

« Je suis une putain. »

Matthew Lewis ne l'entendit pas :

« Déshabillez-vous. »

A cet ordre si familier, Nicolas se réveilla de sa douloureuse contemplation et s'exécuta doucement, soulagé de retrouver ses habitudes nocturnes. Il ouvrit sa redingote sur un torse aussi imberbe que mince et la laissa glisser le long de ses bras, guidé par le rythme lancinant de la danse arabe. Puis il se leva devant le client qui semblait l'inspecter un œil expert et baissa le court tissu noir qui lui servait de sous-vêtement. Maintenant nu et embaumant la rose, il se laissa glisser sur son lit immaculé pour s'allonger en déployant ses ailes, une main délicatement posée sur une hanche. Il caressa les miroirs d'un simple regard perçant et se trouva particulièrement beau, le vin agissant sur son cœur comme des lunettes déformantes, remplaçant l'un avec son contraire et chamboulant ses sensations. Il n'entendit par le fracas qui éclata un instant dans la chambre d'à côté et adressa un regard sauvage à Matthew :

« Tu ne viens pas ? »

Le jeune homme sourit mais secoua doucement la tête :

« Non, ça serait du gâchis. »

Il se pencha vers sa sacoche et en sortit une grandefeuille ainsi qu'un simple crayon. Nicolas ne réagit pas et resta allongé,presque fier, caressant sa peau blanche de ses douces plumes tremblantes. Celuiqui aurait dû être un client lui adressa un regard hésitant et n'eut commeseule réponse qu'un sourire ivre. Alors, il commença à dessiner.

La Maison des InhumainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant