Nicolas n'osait pas bouger. La chambre était silencieuse, aussi silencieuse qu'à une heure de fermeture, comme si la nuit n'était pas tombée. Pourtant, au-delà de la porte, il entendait le vacarme du salon, les rires et les cris rebondissant sur les moulures des couloirs, l'euphorie roulant le long des murs effrités. Mais lui, il n'osait pas bouger. Le tissu blanc était à terre, ramassé sur lui-même, comme un corps fauché en plein élan. Quelques minutes auparavant, il se tenait encore devant lui tel un linceul immaculé dissimulant un étrange fantôme cubique, une masse soyeuse qui semblait s'être perdue dans l'immensité du bordel, muette et dérangeante. Puis, Matthew l'avait empoigné pour le jeter sur le côté dans un geste de prestidigitation négligée, mélange désabusé de pathétique et de dramatique, toute la beauté du romantisme bohème dans un haussement d'épaule et une cigarette allumée. Puis, sans dire un mot, il s'était éclipsé alors même que la soierie n'avait pas fini sa chute magistrale, laissant Nicolas seul avec le silence, le vide et ce malheureux morceau de tissu qui agonisait sur le parquet. Seul avec ça.
Immobile, le monstre le fixait maintenant de son regard translucide. C'était un unique œil de verre brouillé par l'immense grisaille de la cataracte, un abîme sans fond aussi aveugle qu'alerte qui le surveillait sans trembler. Rien d'autre. Pas de couleur, pas de gestes nerveux, pas de dents acérées. Seulement cette pupille embrassant l'ensemble de la pièce de sa lentille terne. Nicolas n'avait jamais rien vu de tel auparavant. Impressionné et sur ses gardes, il dévisagea cette créature de rouages qui soutenait toujours son regard dans une contemplation mesquine, prête à attaquer. Rien de commun à un meuble ou à un objet de décoration, aucune ressemblance avec un appareil médical ou un instrument de musique. Nicolas avait beau observer cette bête, il n'y voyait rien. Rien de plus qu'une machination maléfique et insensée, une boite de pandore sadique ou bien une bombe à retardement au dispositif lumineux, un appareil de torture prêt à lui souffler des flammes au creux du torse dans le pire des cas.
Puis Matthew reparut avec une sacoche en main. Se concentrant d'abord sur l'appareil tel un vétérinaire sur une bête amorphe, appuyant sur diverses parties de son mécanisme dans l'espoir de le voir réagir, il adressa finalement à Nicolas un regard à la douceur lamentablement dissimulée derrière le miroir de la nonchalance. Il lui sourit tout de même, une main encore recroquevillée autour de la lentille réfléchissante, les doigts agrippés au cercle de métal comme pour retenir ce chien enragé contre sa poitrine. Statue de sel sur sable blanc, l'Ange se cambra.
« Matthew ? »
Le jeune homme se contenta de le regarder fixement et de cajoler ce diable mécanique de ses mains fortes d'artistes, une mèche de cheveux retombant sur son front en ressort dégonflé.
« Qu'est-ce que c'est ?
— Le futur. »
Le sourire de Matthew s'était élargi dans un enthousiasme inquiétant. Pris d'un soubresaut, le jeune homme se dirigea vers sa sacoche et en sortit une foule d'objets, les alignant avec vitesse mais délicatesse sur une commode.
« C'est d'une simplicité géniale... »
Les mains tremblantes, le regard indécis, il était empli d'une énergie sanguine. Rien de pareil à sa peinture hystérique. Il s'agissait ici d'une folie plus douce et angoissante, un liquide visqueux qui glissait lentement dans ses veines et endormait la passion pour la transformer en obsession. Il manipulait chaque outil avec une attention maniaque, observait les éléments se mettre en place avec la satisfaction d'une sage-femme sur le point d'assister à la naissance d'une créature inédite, tel un Victor Frankenstein aux joues rouges.
VOUS LISEZ
La Maison des Inhumaines
Mystery / ThrillerSulfureuse, hypnotique, inquiétante, la Maison des Inhumaines est le secret le mieux gardé de Londres. Entre vice et passion, cette maison-close enveloppée de mystère exhibe les prostituées les plus affreuses de la capitale, livrant aux clients ses...