Peter enleva ses bagues une par une, prenant un certain plaisir à les entendre sonner contre le marbre de sa coiffeuse comme des petites pièces de monnaies glissant sur la pierre, puis se tourna vers l'homme assis juste derrière lui, dans un fauteuil de soie. Le Vampire lui sourit et agita ses doigts nus comme un enfant enthousiaste :
« Ils sont à vous, Marquis. »
Le client caressa les dix bâtons blêmes du regard, obnubilé par ces ongles nacrés qui semblaient briller dans la pénombre de la chambre noire, et humecta ses fines lèvres comme pour mieux apprécier le spectacle.
C'était un aristocrate qui avait participé à la chute de sa famille, une véritable ruine humaine qui s'illusionnait elle-même en s'enveloppant dans de beaux costumes de satin qu'il n'avait même pas encore fini de payer, assez riche pour s'offrir un albinos mais trop peu pour rembourser ses dettes. Il était jeune mais faisait déjà vieux, aussi grand que maigre, baladant une carcasse squelettique et un teint maladif sur les pavés de Londres sans que personne ne puisse le reconnaître. Endormi, il passait pour un cadavre.
Comme un arbre mort cédant sous la pression du vent, il se courba en avant et plongea l'araignée qui lui servait de main dans une de ses grandes poches. Il en sorti une boite argentée et la déposa sur la petite table devant lui. Peter la saisit délicatement :
« Pourquoi est-ce que vous me faites tous ces cadeaux ? Vous me payez, ça me suffit. »
Le Marquis afficha un sourire vaniteux et expliqua de sa voix qui semblait toujours à bout de souffle :
« Parce que je suis ce qui t'est arrivé de mieux ici, et je veux que tu le saches. »
L'albinos souleva le couvercle avec précaution :
« Si vous étiez si bien que ça, je ne serais déjà plus dans cet enfer. »
Une bague surmontée d'un diamant taillé apparut, scintillant dans la lueur du lustre comme une boule de cristal, énorme et brut. Le regard fasciné de Peter devint alors pâle, translucide, comme si le voile de la cataracte s'était soudainement déposé sur ses pupilles, alors que ses doigts tremblotants saisissaient le bijou avec respect et délicatesse. Il releva la tête, une étincelle d'espoir dans ses yeux enneigés :
« J'imagine que je ne la met pas à l'annulaire.
— Je t'aime beaucoup mais j'ai une réputation à tenir. »
Peter haussa les épaules et son regard redevint alors marron, trop habitué aux désillusions pour tomber dans le gris mélancolique. Mécaniquement, il enfila la bague sur son majeur, étendit le bras pour l'admirer, et sourit à son client qui lui répondit par un hochement de tête satisfait. Puis un silence plana un instant dans la pièce, léger et discret. Chacun savait très bien ce qui allait suivre mais ni l'un ni l'autre ne voulait vraiment faire le premier pas, demeurant immobiles et calmes alors que tout cela venait naturellement d'habitude, sans malaise ni aucune gêne.
La pierre brillait au doigt du jeune homme, véritable petit soleil au cœur de la pénombre, et jetait ses rayons lumineux sur le papier peint noir comme un pointilliste jetterait sa peinture sur une toile abandonnée. Il y avait quelque chose d'étrangement beau dans l'atmosphère moite de la chambre, quelque chose d'inhabituel qui ne plaisait pas à Peter. Finalement, brisant cet instant figé, ce dernier s'avança machinalement vers le Marquis et déposa un baiser sur son front, doux et innocent comme un enfant remerciant son grand-père pour son cadeau d'anniversaire. Il ne pensait à rien, ne se posait aucune question : il allait se déshabiller et se blottir dans ces bras comme un pêcheur irait sur son bateau, par pur réflexe, presque par obligation, et n'y penserait plus.
VOUS LISEZ
La Maison des Inhumaines
Mystery / ThrillerSulfureuse, hypnotique, inquiétante, la Maison des Inhumaines est le secret le mieux gardé de Londres. Entre vice et passion, cette maison-close enveloppée de mystère exhibe les prostituées les plus affreuses de la capitale, livrant aux clients ses...