Alors que la lourde porte se refermait derrière elles dans un silence solennel, les sœurs Middle se figèrent, soudainement submergées par un sentiment d'effroi. Cela faisait des années qu'elles n'avaient pas mis les pieds dans une église, et elles avaient oublié l'impression que pouvait leur donner un tel endroit, vide et gigantesque, profondément mélancolique. Grand pour une si petite paroisse, cet édifice était une carapace de pierre, une véritable coquille que seul le désespoir des chuchotements éplorés pouvait emplir, accompagné par les effluves d'encens et l'odeur désagréable du vieux calcaire. Impressionnées, bousculées par un courant d'air glacial provenant des profondeurs de la nef, les sœurs restèrent un instant dans l'ombre de l'immense porte sculptée pour inspecter les alentours d'un regard inquiet, minuscules au pied de l'orgue immense qui s'étalait au-dessus du portail comme un soleil grisâtre.
En face d'elles s'étirait la nef, longue et étroite, étriquée au milieu de ses arcs brisés et de ses piliers gravés de monstres grimaçants, alors que les bancs miteux semblaient s'amonceler ici comme des brebis égarées, en désordre. La lumière tombait en cascade des fenêtres hautes et les vitraux laissaient leurs reflets éclater sur la pierre dans un fracas passionné, plongeant les vaisseaux dans une violente débauche de couleurs. Eclipsées par cette orgie fabuleuse, des chapelles courraient le long des murs, enfilées ici comme des perles autour d'une nuque de pierre, alors que des ombres courbées embrassaient les pieds de leurs saints marmoréens. Et tout cela se passait sous le regard impassible de l'autel doré qui se hissait au cœur du transept, entouré par une horde de cierges mourants, tel un immense immeuble aux fenêtres illuminées au centre desquelles brillait la lanterne d'un rubis incrusté. Derrière ce reliquaire filigrané, une majestueuse mosaïque s'étalait dans le creux de l'abside principale. Dans la délicatesse des dorures et des pierres précieuses qui tombaient en décrépitude par endroit, Marie Madeleine se prostrait devant le Christ, lavant un pied de ses larmes, essuyant l'autre de ses longs cheveux parsemés de fleurs, et restait couchée à terre comme une larve en pleur écrasée sous le poids des décorations. Le Christ, lui, semblait sourire.
Dans un profond soupir qui résonna entre ces murs froids, Jane ferma un instant les yeux pour étouffer la sensation de vertige qui commençait à la prendre alors que sa sœur lui tapotait la main, agacée. Mary venait d'enlever son chapeau.
« Fait un effort, s'il te plait. »
Dans une grimace de concession, Jane imita sa sœur et s'empara de son couvre-chef pour libérer ses cheveux, avant de montrer une direction d'un mouvement de tête. Les sœurs tournèrent alors sur la droite et s'engagèrent dans un des vaisseaux collatéraux, ignorant avec mépris l'eau bénite qui croupissait dans un bassin en forme de coquillage. Elles avancèrent discrètement sous ces voutes branlantes, encerclées par les prières qui se faufilaient entre les ombres des tombeaux massifs, alors que les figures auréolées semblaient leur tendre des mains pénitentes.
Finalement, elles s'arrêtèrent devant l'unique confessionnal de l'église et se regardèrent avec hésitation. La cabine, fermée par d'obscènes rideaux de velours rouge, s'imposait dans ce recoin comme une cathédrale de bois, un passage hasardeux vers un voyage dont on ne connaissait pas la destination. Finalement, retrouvant son assurance, Jane haussa les épaules et poussa sa sœur à s'engouffrer dans cet isoloir spirituel, refermant sèchement le rideau derrière elles. Aussitôt, une petite trappe à leur droite s'ouvrit comme les prémisses d'un piège fatal, et une voix perça le grillage.
« Je vous écoute mon enfant. Quelle est votre faute ? »
Les sœurs ne répondirent pas. Dans l'obscurité et la chaleur de ce confessionnal, un lourd malaise les avait envahies, celui de la crasse humaine et de la culpabilisation. Autour d'elles, le bois semblait se déployer comme une machine diabolique, laissant suinter à travers ses lattes tous les mensonges, les aveux et les gémissements que la religion avait arrachés à ses adeptes. La cabine respirait et en son cœur battait le pêché, puis le pardon, qui se répondaient dans une course sans fin, tel un chapelet dont on ne cessait d'égrener les perles. Puis, comme pour ne pas briser ce sempiternel chemin de croix, le prêtre insista avec fatigue :
« Je vous écoute mon enfant. Quelle est votre faute ? »
Émergeant de cette soudaine panique, Mary ouvrit la bouche mais sa sœur fut plus rapide :
« Inutile de nous faire votre sermon, nous ne sommes pas venu pour nous confesser. »
La surprise agita légèrement l'homme d'église qui ferma sa bible pour se pencher davantage vers le grillage :
« Vraiment ? »
Jane, le regard plongé dans l'obscurité du rideau tiré, ne tourna pas la tête et continua avec une froideur trahissant sa nervosité :
« Nous avons vu que vous aimiez Marie Madeleine.
— Une femme admirable. »
Jane prit la main de sa sœur qui tressaillit un instant :
« Alors nous avons un travail pour vous. »
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La Maison des Inhumaines
Misterio / SuspensoSulfureuse, hypnotique, inquiétante, la Maison des Inhumaines est le secret le mieux gardé de Londres. Entre vice et passion, cette maison-close enveloppée de mystère exhibe les prostituées les plus affreuses de la capitale, livrant aux clients ses...