Chapitre 12 - 2

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Personne ne frappe à la porte de la maison des Inhumaines, personne ne veut être aussi bruyant. Dans un tel endroit, l'entrée doit se faire discrète, tapie dans l'ombre, aussi légère qu'un courant d'air. Les habitués tournent la poignée sans hésitation et s'engouffrent dans cette tempête de parfums, les curieux risquent d'abord un regard timide par l'entrebâillement, mais personne ne s'use les phalanges sur ce vieux bois, personne ne demande de permission. Les silhouettes entrent, partent, glissent sur le seuil du bordel comme des chevaux de bois tournant sur un carrousel, sans bruit, sans vie.

Pourtant, un lundi après-midi, deux coups caverneux résonnèrent dans la vieille carcasse de la demeure bourgeoise. Deux battements de cœur, clairs et tonitruants, qui s'imposaient comme la voix d'un Dieu enragé. Deux coups de tonnerre, puis plus rien.

Alors, la maison se figea, aussitôt chargée d'une tension inhabituelle. Les têtes se hissèrent, les regards s'accrochèrent à la porte, et la lumière elle-même sembla peu à peu disparaître pour laisser sa place au mystère. Quelque chose était en train d'arriver. Dans la routine de cette usine des sens, une machine venait de dérailler, et tout le monde en avait saisi la gravité.

Soudainement à l'affut, comme des félins en danger, les deux sœurs se tenaient immobiles derrière leur bureau. Leurs regards aux yeux grands ouverts fixaient la porte avec une telle profondeur, une telle puissance qu'elles semblaient pouvoir voir à travers l'inexorable cloison de bois. Avec une inquiétante dextérité pleine d'autorité, Jane fit un signe de la main aux employées, les réveillant de leur stupeur. Alors, dans un silence méticuleux, la maison sembla doucement se mouvoir pour mieux disparaître, enserrée dans une tension de plus en plus pesante. Les sœurs, statues de marbre figées derrière leur bureau, n'avaient toujours pas quitté la porte des yeux lorsque deux coups résonnèrent de nouveaux. Ces derniers étaient plus agressifs.

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L'inconnu était un homme au long manteau noir posé sur des épaules particulièrement larges, un monstre d'angles droits dont le corps semblait extirpé d'un bloc de béton, pas tant pour sa musculature que pour son imposante froideur. Il avait les mains dans les poches, le regard dissimulé par le bord d'un chapeau haut-de-forme, et une voix qui ne semblait pas même sortir de sa bouche, comme atterrissant tout de suite dans votre esprit.

Cette dernière, autoritaire et calme à la fois, s'imposa directement après la valse des innombrables serrures qui s'ouvraient en crépitant, offrant parfois de violents claquements pour annoncer l'apparition des mères maquerelles dont les figures, alors inhabituellement inondées de lumière extérieure, se détachait de la pénombre du salon dans un clair-obscur grotesque.

« Jane et Mary Middle ? »

Derrière la silhouette charpentée de l'inconnu, la ruelle s'étendait comme un décor de théâtre à l'éclairage artificiellement sombre, continuellement recouverte d'une obscurité qui s'accrochait à ses vieux trottoirs comme une énorme tâche de cambouis, dévorant chaque parcelle de lumière de son effroyable gueule. Jane, perplexe, se contenta d'hocher la tête tout en cherchant le regard de son interlocuteur, les sourcils froncés. L'homme sembla patienter quelques instants, les mains toujours plongées dans ses poches, puis dirigea finalement un doigt en direction du mystérieux intérieur qui se dessinait vaguement dans le dos des sœurs :

« Vous m'offrez un thé ? »

Mary, déstabilisée, se tourna vers sa sœur qui, à son tour, louchait sur ce doigt tendu ici comme un ordre. L'étranger avait des mains monstrueusement imposantes, aux ongles massifs et aux os mécaniques, d'énormes machines de chair dont chaque déplacement pouvait être une menace. Pourtant, ses gestes baignaient dans un flegme étrange, un nuage calme de réelle délicatesse, et chaque mouvement se transformait alors en charmante petit vague annonciatrices de tempête. Jane, toujours méfiante, tenta de reprendre de l'assurance en se redressant :

« Il y a un salon deux rues plus loin, son thé est délicieux. »

L'homme baissa alors la main et fit mine d'être surpris, jetant un regard derrière lui :

« Je n'en ai pas vu. »

Mary allait prendre la parole alors qu'il enchainait :

« Vous êtes sûres que vous n'auriez rien pour un honnête représentant des forces de l'ordre ? »

La siamoise ferma aussitôt la bouche et se tourna de nouveau vers sa sœur, aussi ébahie que paniquée.

« Même un café, je ne suis pas difficile. »

Un silence s'immisça entre les interlocuteurs, profond et électrique, lourd de signification. Alors que l'inconnu avait enfin relevé la tête pour dévoiler deux billes grises soulignées de cernes sous le bord de son chapeau, son regard satisfait sembla entrer en pleine discussion avec celui perçant de Jane. Cette dernière, les mains sur les hanches, s'évertua ainsi pendant une longue minute à sonder son âme et détourna finalement les yeux pour examiner une fois de plus l'individu de la tête au pied, comme on observerait à distance un cheval fou, avec aigreur et méfiance. Elle sentait dans ces pupilles d'acier une excitation malsaine, celle de les effrayer et de débuter une guerre hypocrite, un combat fourbe à coup de politesse et de voix moelleuse. Il était terrifiant, mais elle savait qu'il ne partirait qu'après les avoir vu crever dans leur panique. Alors qu'elle sentait les frissons de sa sœur la supplier de retourner à l'intérieur et de laisser cet étranger sur le pas de la porte, elle soupira profondément dans une honteuse capitulation et s'efforça à sourire :

« Vous prenez du lait avec votre thé ? »

Comme la propriétaire lui faisait signe de les suivre, l'homme étira à son tour un sourire qui se figea sur ses lèvres, comme sculpté dans du granit, et s'avança sur l'étroit perron du bâtiment. Mais alors que les sœurs se retournaient pour s'enfoncer dans le grand salon, le rictus de Jane s'effaça comme la porte se referma. Elle sentait les ennuis arriver.

La Maison des InhumainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant