Sur les vitres de la voiture de papa, les gouttes de pluie s'écrasent en laissant des sillons humides sur leurs passages. Elles me rappellent mes larmes et ma peine. Il y en a tellement eu que j'ai bien cru qu'une inondation de moi-même allait être à déplorer. C'est bien de cela qu'il s'agit. Un naufrage colossal quand une partie de soi est déconnectée de tout sens moral, parce que le tragique a pris le pas dessus. Une semaine avant le drame de ma vie, nous apprenions la mutation de papa à Norfolk, en Virginie. Comme si quelqu'un avait eu pitié de ma malheureuse existence. Trois mois avant de partir, je découvrais mon merveilleux petit ami dans le lit et accessoirement, dans une autre. Je ne pleure pour ainsi dire jamais. Mais les ravages de l'amour sont impitoyables. Il a trouvé l'excuse de me dire qu'il en avait marre d'attendre que je sois prête, qu'il allait finir eunuque s'il ne se vidait pas. Très classe, n'est-ce pas ? Je l'ai bien cherché selon lui, à force de jouer les prudes coincées qui ne connaissent rien aux besoins primitifs de la race humaine. Rien que ça ! À force de l'entendre débiter sa diarrhée verbale, j'en ai eu ma claque. Il me semble lui avoir dit qu'il aurait encore fallu qu'il soit attrayant à regarder pour avoir envie de le toucher. Un truc dans le genre-là. Et bien évidemment, je suis passée du statut de coincée à, je cite « connasse austère imbaisable ». Grand prince, il m'a proposé une nuit torride pour que je puisse me dérider un peu. Je lui ai rendu sa gentillesse avec un coup de genou bien placé, et le massacre de sa voiture effectué par ma sœur.
Malgré tout, j'étais amoureuse de lui. Et j'étais en rogne contre moi-même d'être aussi chochotte. Mais à dix-sept ans, je ne me vois pas jouer à la macarena allongée. Il a tout gâché alors que je l'aimais.
Enfin, c'est ce que je croyais.
- Yuna, réveille-toi, chérie. On est bientôt arrivé.
La voix de mon père me sort de mes songes. Je me garde bien de lui dire que je ne dormais pas, mais que j'échafaudais des plans élaborés et particulièrement vicieux pour faire souffrir mon cher petit copain et sa nouvelle conquête. Il sait que nous ne sommes plus ensemble, il pense que c'est à cause du déménagement. Je le conforte dans cette idée, je n'ai pas nié, ni affirmé les faits. Bien que ma haine viscérale pour Drew empoisonne mon air, mon père est un marine, et je sais de quoi il est capable.
Capitaine de frégate Anton McKinley, appartenant à la marine américaine, pour vous servir. Un beau bébé d'un mètre quatre-vingt-cinq, quarante-sept ans, les cheveux blonds vénitiens rasés très court, une mâchoire carrée, et un regard bleu azur. Il a charmé la future madame McKinley avec ses yeux-là, c'est ce que maman dit tout le temps. Maman est une belle blonde du même âge que papa, la ravissante Julia Jansenn est sage-femme. Ils se sont rencontrés lors d'une soirée organisée par des amis communs. Le coup de foudre. Vingt ans de mariage plus tard, ils s'aiment comme au premier jour. Maman est une jolie plante d'un mètre soixante-huit, les cheveux blonds très clair, les yeux marron et un sourire à tomber par terre. Malgré son âge, les hommes se retournent toujours sur son passage.
Il y a ma sœur Suki, la copie conforme de ma mère. Le bébé tant attendu après trois fausses-couches. Suki est ce qu'on peut appeler le bébé miracle. Une jolie jeune femme de dix-huit ans à la blondeur dorée et aux yeux chocolat brillants comme des pépites. Elle est franche, un peut trop d'ailleurs, toujours là pour nous, exubérante et d'une beauté sans pareil. Papa voulait un garçon, il n'aura eu que des filles, qu'il chérit plus que tout au monde. Et on le lui rend bien. Mon père et son harem.
Et puis, il y a moi. La cadette de quatorze mois de Suki. Je n'ai pas l'éclat de ma sœur, ni sa fraîcheur. Je suis quelconque et pourtant, on se ressemble beaucoup. Tout aussi blonde, voir une teinte légèrement plus claire, j'ai hérité des yeux de papa, bleu ciel. Je suis assez réservée, et tempérée, la plupart du temps. Si, c'est vrai. Quand je me suis retrouvée devant le fait accompli de la trahison de mon cher amour, je n'ai pas pété les plombs. Non. Je suis partie en pleurs, d'ailleurs, je n'ai plus pleuré après cette soirée. Attention, ne vous méprenez pas. Il m'a profondément blessé, vraiment. Seulement pleurer une nuit entière m'a collé une migraine épouvantable et une voix à la Marge Simpson des plus effrayante. J'ai ravalé ma peine, et j'ai intériorisé. Je suis très forte à ce jeu. Excellente, même.
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À l'orée de Toi
RomanceDéménager dans une nouvelle ville : fait. Avoir le cœur en miette et un dysfonctionnement émotionnel : fait. Refouler tout ce qu'il s'est passé :fait. Tout a l'air de s'arranger, enfin ! C'est ce que je pensais avant de tomber sur une bande de dégén...