À l'orée de Toi

Chapitre 24

Yuna

J'ai fait des allers-retours entre la porte d'entrée et ma voiture. Je n'ai pas envie d'y aller. Qu'est-ce que ça va changer de toute façon ? J'ai annulé deux rendez-vous. Maman m'a menacé de me prendre la voiture si je n'y allais pas. C'est qu'un rendez-vous, personne va me manger. La salle d'attente est pleine de plantes, elles sont vraies. J'ai vérifié. Une vraie jungle. Ça ressemble plus à un spa, ou a une boutique de vente d'herbe légale. Je n'ai jamais mis les pieds dans ce genre de boutique, mais je suis quasiment sûre que ça y ressemble. Mais qu'est-ce que je fais là, bon sang !

Je ne suis pas seule dans la salle d'attente aux allures de détente absolue. Mais je suis la plus jeune. Il y a une dame blonde d'une quarantaine d'années qui a les yeux rougis, elle semble figée sur place. Et tourne la tête de droite à gauche comme si elle entendait des voix. Un homme un peu plus vieux, un début de calvitie prononcée et des cicatrices un peu partout, attend également, sauf que lui a l'air parfaitement détendu. Il jette des coups d'œil dans ma direction. En même temps, si je ne portais pas un avec écrit "Née chiante", je serai passé inaperçu. Je vais creuser le sujet.

Pendant que je me concentre sur les plantes autour de moi, un autre homme entre dans l'espace vert salle d'attente. Il a l'air jeune. Vingt-cinq ans au maximum. La première chose qui me frappe chez lui, c'est le blond de ses cheveux, quasiment blancs et coiffés en brosse. Je ne savais même pas que ça existait encore. Il a le regard vide et des tics nerveux font trembler sa mâchoire. Je me sens totalement saine d'esprit en fait.

Je m'attendais à un bureau en bois massif avec un canapé et une table avec une boîte de mouchoir. Un cabinet avec des livres et des tableaux qui prônent la zénitude histoire de se sentir à l'aise et en confiance. Et surtout, je m'attendais à un vieux machin blasé avec des petites lunettes, capable de disséquer une cervelle en y jetant un coup d'œil. Oui, j'ai une image très belle du métier de psychologue. Docteur O. Barthélemy. O comme Oscar. Non comme Oliver, ou mieux Otello.

- Mademoiselle McKinley ?

La secrétaire qui a fait mon dossier, vient me chercher. Toute de noir vêtue, les cheveux noirs de jais et sa bouche violette, me font penser à Morticia Adams. Pour une secrétaire de cabinet psy, ce n'est pas à ce que je pensais. J'ai vraiment envie de partir en courant. Plus vite ça sera fait, plus vite, je passerai à autre chose.
La secrétaire s'appelle Line, c'est son badge qui me l'a dit, m'emmène dans un long couloir. On marche assez longtemps pour que je pense à ma dernière heure. Je suis dans le couloir de la mort et je marche vers ma fin.

- Ce n'est pas si terrible, et c'est libérateur. Finit-elle par dire.

La réticence doit sortir des pores de ma peau, je me ferai un masque en rentrant.

- La marche de la mort ? Tu m'étonnes.

Elle hoche la tête poliment et un sourire en coin se dessine.

- Ce n'est pas la Shoah qui vous attend, Mademoiselle McKinley.
- Yuna, juste Yuna.
- Juste Yuna. Le docteur Barthélémy vous attend.

Elle ouvre une pièce et je me demande si je ne suis pas le dindon de la farce. Une ambiance totalement à l'opposée d'un cabinet de médecine classique. Des murs sombres, une lumière tamisée, un vieux canapé en cuir. Pas de bureau, pas de boîtes de mouchoirs, pas de poster qui prônent que le prendre soin de soi est fabuleux. Rien de tout ça. Des vieux posters de Jimmy Hendrix, de Miles Davis et de Kurt Cobain ornent les murs.

- Vous êtes sûre que...
- Ça va bien se passer, il est vraiment génial. Répond Line avant de tourner les talons et de me planter là.

Sympa. Quel genre de personne donne des consultations dans ce genre de "cabinet" ? Ma curiosité étant piquée au vif, je fais le tour. Il n'y a que des gens morts sur les murs. Houdini est là aussi, et je n'aime pas du tout sa façon de me fixer, avec son regard perçant. Tu es mort, redescendent un peu de ton nuage. Je jette un coup d'œil circulaire et remarque une sorte d'étagère faite de palettes. Et ce qui me surprend le plus, c'est la collection de livres. Oui, il y a des livres sur la médecine et le cerveau humain, mais des mangas, des bandes dessinées, et oh la vache ! Un exemplaire d'After*. Pincez-moi, je dois rêver.