4. MATTEO

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J'avais couru toute la journée en me disant que jamais je n'arriverai à partir à temps.

Ça avait commencé avec le dossier des Delois, égaré par la nouvelle stagiaire, qui avait par la suite renversé une tasse de café sur moi.

La gamine s'était tellement confondue en excuse tout au long de la journée qu'intérieurement je l'avais surnommée "mademoiselle Désolée" faute de retenir son prénom.

Fort heureusement l'un de mes confrères gardait une chemise de rechange et j'avais ainsi pu maintenir une allure décente le reste de la journée. Cela m'avait d'autant plus dépanné, que ce soir je n'avais pas le temps de repasser chez moi. Habituellement le mercredi était dédié à la natation, mais exceptionnellement j'avais changé mes plans.

Une semaine auparavant, Jeremy m'avait appelé et pratiquement supplié de mettre de côté ma séance pour qu'on se boive un verre et dînions ensemble. Il lui fallait une bonne raison pour que je lui cède ma soirée. Il m'avait assuré que c'était le cas sans m'en dire plus. J'étais donc impatient quand j'entrais dans le bistro.

Il était 19h et j'étais le premier arrivé. Je trouvais une table de libre dans un coin de la salle et m'asseyais. Jeremy n'était pas connu pour sa ponctualité, sans compter qu'il m'avait prévenu qu'il pourrait avoir du retard à son travail. Je lui envoyais un sms, puis sortis un livre de mon sac afin de patienter.

Lorsque le serveur vint prendre ma commande, j'en profitais pour scanner les personnes qui se trouvaient dans le bistro. Un groupe de salariés venus se détendre après une journée de travail, des étudiants qui prenaient l'apéritif et qui jetaient de temps à autre des regards à un autre groupes de filles qui, pour leur part, ne leur prêtaient pas la moindre attention. Quelques couples disséminés et une terrasse blindée de monde en ces derniers jours d'automne. C'était un bistro branché où l'on pouvait boire et manger ; et ça se sentait.

Je continuais de scruter ce qui m'entourait. Quelques personnes étaient également installées au comptoir. Mon regard se stoppa sur l'une d'entre elles en particulier. Au début je n'y avais pas prêté attention, mais son visage me disait quelque chose, et mon regard revint sur lui. Je l'avais déjà vu quelque part, mais où, c'était la question. L'homme remarqua que je le regardais et haussa un sourcil avant de m'adresser un sourire goguenard.

Et puis ça fit tilt à l'instant même où le serveur vint déposer mon verre de bière. Je le remerciais, autant pour le service que pour le fait de m'avoir caché à la vue de l'homme que j'avais finalement reconnu.

Je ne le connaissais pas, ne l'avais même vu que l'espace d'une minute ou deux, mais comment oublier la vision d'un homme en train de se faire offrir une fellation à l'arrière d'une ruelle ?

Préférant éviter d'attirer son attention plus que nécessaire, je me replongeais dans mon livre jusqu'à ce que mon téléphone vibre dans ma poche. Par réflexe, je jetais un coup d'œil au comptoir, le temps de sortir l'appareil. L'homme n'était plus là, mais Jérémy sortait du métro.

Il arriva dans la foulée au petit trot et vint s'affaler sur la chaise à côté de moi.

— Salut, désolé de t'avoir fait attendre, j'avais une réunion de profs. Caz nous rejoint, il est dehors à fumer une clope.

Je saluais mon cousin et haussais un sourcil. J'avais un mauvais pressentiment. Pressentiment qui grandit lorsque je vis l'homme du comptoir entrer de nouveau dans le bar et se diriger droit vers nous avant de s'asseoir nonchalamment à notre table tandis que Jérémy souriait.

— Je crois que vous ne vous êtes jamais rencontrés. Caz, je te présente Mattéo, mon cousin. Mattéo voici Caz, l'un de mes meilleurs amis.

À présent qu'il était assis en face de moi, je pris le temps de le détailler un peu plus. Il avait une allure débraillée avec ses cheveux bruns en bataille et sa barbe de trois jours ; mais il était plutôt grand et loin de pouvoir être considéré comme un gringalet. Alors que nous nous serions la main, je me demandais si lui aussi m'avait reconnu. J'en eu la certitude lorsqu'il me fixa de ses yeux bruns, presque noirs et qu'il m'adressa à nouveau ce sourire goguenard horripilant.

Il s'apprêtait à ouvrir la bouche lorsque le serveur vint prendre leur commande. Tous deux choisirent une pinte de bière. Lorsque le serveur s'éloigna, le temps de la remarque acerbe était passé.

— Bon, dit alors Caz d'une voix grave en se tournant vers Jérémy. C'est quoi la nouvelle ?

— Qu'est-ce qui te fait croire qu'il y a une nouvelle ? demanda mon cousin avec un sourire ravi.

Je vis Caz hausser un sourcil et croiser les bras alors qu'il se reculait dans sa chaise. Jérémy éclata de rire.

— D'accord, il y a une nouvelle. Si nous nous retrouvons ce soir tous les trois, c'est parce que j'ai une demande à vous faire.

Cette fois ce fut moi qui haussais un sourcil alors que mon cousin faisait durer le suspense le temps que le serveur leur apporte leur verre. Lorsque nous fûmes de nouveau tous les trois, le sourire de Jérémy s'élargit.

— Est-ce que vous voulez bien être mes témoins ?

— Tu te maries ? m'exclamais-je.

Il hocha la tête.

— Félicitation !

Nous trinquâmes alors tous les trois, et j'oubliais pour un temps mon antipathie pour l'homme assis en face de moi, pour ne penser qu'au bonheur de mon cousin.

Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant