11. CAZ

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J'arrivai en début d'après-midi comme convenu, sachant déjà que je trouverai Gwenn stressée et dans tous ses états. Lorsqu'elle me vit entrer dans la galerie, elle me sauta dessus, me disant à peine bonjour.

— Tu es en retard.

Lui souriant, je me penchai et déposai un baiser sur sa tempe avant de lui répondre calmement.

— Non mon cœur. Il est 13h30, je suis juste à l'heure que nous avions convenu.

Puis avant qu'elle puisse dire quoi que ce soit, j'ajoutai :

— J'ai eu Jo' au téléphone, le camion de fleurs est en route et sera là d'ici 20 minutes maximum. Nous sommes donc exactement dans les temps. Alors respire, tout va bien se passer.

Elle me lança un regard noir, mais s'exécuta tout de même.

— Mon dieu si tu es stressée maintenant, je n'ose même pas imaginer quand il s'agira de ton mariage.

J'avais à peine fini ma phrase que je récoltai une tape du dos de la main sur mon bras, en même temps qu'un sourire de mon amie. Nous étions sur la bonne voie pour qu'elle se détende un peu.

— Bon trêve de bavardage. Suis-moi que je te présente l'artiste.

Je la suivis jusqu'au fond de la galerie où nous retrouvâmes deux hommes en pleine discussion, donnant des indications à un troisième perché en haut d'un escabeau ; et qui bougeait, au gré des ordres, un spot de lumière. Le premier avait la cinquantaine, les cheveux grisonnant sur les tempes. Le second affichait la petite trentaine, avait des cheveux châtains coupés courts. Les mains posées sur ses hanches, c'était lui qui donnait la plupart des ordres. J'en déduisis immédiatement qu'il s'agissait de l'artiste, et Gwenn ne me détrompa pas.

— Messieurs, je trouve que la lumière est très bien comme ça, je vous assure, dit-elle une fois à leur hauteur.

Les deux hommes la regardèrent, puis jetèrent un nouveau coup d'œil critique à l'éclairage qui mettait en valeur la peinture avant d'acquiescer.

— C'est bon Antoine, tu peux descendre, dit l'homme le plus âgé qui devait être le propriétaire de la galerie.

Le jeune homme lança à Gwenn un regard reconnaissant et ne se fit pas prier pour descendre de son perchoir.

— Messieurs, je vous présente Caz de Prezac, celui qui va se charger de l'arrangement floral. Caz, voici Albert Montague, le propriétaire de la galerie, et Grégoire Sabiel, notre artiste et vedette de la soirée.

Je serrai la main des deux hommes, et vis le galeriste tiquer à l'évocation de mon nom de famille, mais fort heureusement, il ne fit aucune remarque. Quant à Grégoire, mon nom ne semblait rien lui dire et il se contenta de me sourire ; d'une façon que je trouvai d'ailleurs très charmante. Ce n'était pas un canon, mignon aurait plus convenu, mais il dégageait une assurance qui décuplait son charme. Nous dûmes nous regarder un peu trop longtemps car Gwenn se racla la gorge pour attirer mon attention et me lancer un regard qui voulait clairement dire « pas ici, et pas maintenant ».

Je levai les yeux au ciel. J'étais peut être une Marie couche-toi là, mais j'étais avant tout professionnel. Et pour bien le lui montrer, je revins au sujet qui nous préoccupait.

— Monsieur Sabiel...,commençai-je.

— Appelez-moi Grégoire, je n'aime pas les formalités.

Je m'efforçai de ne pas regarder Gwenn – elle devait bien admettre que je n'y étais pour rien cette fois – et continuai donc.

— Grégoire, Gwenn m'a montré vos œuvres et expliqué ce que vous imaginiez en termes de couleurs. À partir de ça, j'ai sélectionné les fleurs qui iraient avec votre univers.

Il acquiesça.

— Oui Gwenn m'a montré les fleurs que vous aviez choisies et j'adore.

J'acquiesçai et lui expliquai donc ce que j'avais imaginé en termes d'association de fleurs et d'œuvres. J'avais en effet choisi trois variétés de fleurs, des amaryllis affichant un camaïeu bordeaux et blanc, des Alliums couleurs prune ainsi que des hellébores aux couleurs panachés. Si les deux premières devaient servir à illustrer les changements dans les thématiques des œuvres, les dernières serviraient de décoration au niveau du buffet.

Le principe sembla plaire, et lorsque Jo' arriva avec le camion et que nous déchargeâmes les fleurs, il fut confirmé. Je passais donc l'après-midi à arranger la décoration comme je l'avais imaginé, tandis que Gwenn gérait déjà l'arrivée du traiteur, et la boite qui lui fournissait les serveurs pour la soirée. Le galeriste et Grégoire continuèrent un moment à discuter peinture, puis Grégoire me rejoignit, proposant son aide. J'acceptai et nous discutâmes tout en travaillant.

J'appris ainsi qu'il avait 33 ans – soit deux ans de moins que moi – et qu'il voyageait beaucoup entre Londres, New York et Paris pour ses peintures. Trois villes où il commençait à rencontrer du succès. Je découvris également au détour de la conversation qu'il était gay, célibataire, et qu'il ne cherchait absolument pas de relation sérieuse. Il fut assez clair sur ce point pour me faire comprendre que je l'intéressais, et pour une fois que ce n'était pas moi qui draguais, j'en profitais.

Lorsque je terminai les derniers arrangements, il n'était pas loin de 17h. La soirée ne débuterait qu'à 19h, ce qui me laissait largement le temps de rentrer chez moi me doucher et me changer. Je retrouvai Gwenn qui venait de raccrocher d'une longue conversation téléphonique.

— Tout se passe comme tu veux ? me demanda-t-elle.

J'acquiesçai.

— Oui, j'ai terminé. Grégoire semble satisfait.

Elle me lança un regard éloquent et je lui offris mon air le plus innocent.

— Quoi ? me récriais-je.

— Caz, je te connais. Je sais exactement comment ça va se finir.

Je haussais les épaules. J'en avais une vague idée aussi, mais c'était loin d'autant me déplaire, contrairement à mon amie.

— Écoute Gwenn, je t'adore, mais je suis un grand garçon, et lui aussi. S'il se passe quoi que ce soit, nous serons tous les deux consentants et saurons exactement à quoi nous attendre l'un comme l'autre.

Elle continua à me fixer du regard avant de lâcher un soupir agacé et dépité à la fois.

— Fais comme tu veux. Mais ne me mêle pas à ça.

Je lâchai un petit rire, retenant la remarque salace qui me venait à l'esprit, et vins lui embrasser la tempe.

— Oui maman.

Elle me frappa l'épaule une nouvelle fois, avant de me sourire.

— Bon, si tu n'as plus besoin de moi, je vais rentrer me prendre une bonne douche. On se voit tout à l'heure.

Je la laissai à son travail et sortis de la galerie pour retrouver Grégoire dehors, fumant une cigarette.

— Tu y vas ?

À un moment dans l'après-midi, il s'était mis à me tutoyer. J'acquiesçai.

— Juste pour savoir, il y a quelque chose entre Gwenn et toi ?

La question était tellement inattendue, que j'éclatai de rire. Mais il était sérieux et attendait une réponse.

— Absolument rien. C'est ma meilleure amie, et elle va se marier avec mon meilleur ami.

Grégoire acquiesça, m'offrant un sourire.

— Tant mieux. J'aurais détesté m'immiscer dans un couple.

Il jeta son mégot par terre et l'écrasa de son talon, tandis que je le regardai faire. Il plongea ensuite ses mains dans les poches de son jean et sans me quitter des yeux, continua :

— J'ai mon hôtel pas très loin d'ici, ça te dit ?

Je n'hésitai qu'une demi-seconde avant de le suivre.


Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant