Je regardai attentivement les deux hommes en face de moi. Jérémy était mort de rire, faisant une pierre deux coups en se payant à la fois ma tête et celle de son ami.
Quant à Caz, il gardait un visage stoïque, comme si ça ne le concernait pas vraiment. À croire que ça l'énervait d'être le sujet de conversation et qu'il craignait d'être le dindon de la farce.
Pour ma part, je me fichais royalement de ce que ce mec faisait dans la vie. De ce que j'en savais, il pouvait tout aussi bien être gigolo ou prostitué...en tout cas il ne donnait pas l'impression d'avoir un métier respectable.
Ou alors c'est moi qui le jugeais mal à cause du petit spectacle qu'il m'avait donné à voir l'autre soir. Mais sérieusement, qui faisait ses préliminaires dans une ruelle, là où n'importe qui pouvait les voir ? Je savais qu'il fallait que je passe outre ma mauvaise impression. S'il était le meilleur ami de Jérémy, c'est qu'il ne devait pas être si nul que ça. Enfin pas trop. Quoi qu'il en soit, il me faudrait faire avec dans les prochains mois qui suivraient, pour l'organisation du mariage.
Attrapant mon verre de vin, j'en bu une gorgée et pris mon temps. Pour le moment, il s'agissait de trouver le métier de cet exhibitionniste en cherchant le moyen de faire rire Jérémy. Et si je pouvais par la même occasion me moquer un peu de ce mec, ce n'en serait que mieux.
Qu'est ce qui était le plus improbable pour un gars comme lui ? Il était plutôt baraqué avec sa carrure de rugbyman. Sa barbe de trois jours renforçait ce côté homme des cavernes, de même que ses cheveux en bataille. Il aurait pu passer pour l'un de ces hipsters à la mode, mais le côté peu entretenu, freestyle de son allure générale renvoyait un autre message. Ses yeux bruns foncés – presque noirs – me fixaient. J'étais sûr que c'était le mec qui se pensait super viril, et irrésistible auprès des femmes. Il me fallait donc une idée à contrepied. Quelque chose qu'on aurait pu penser comme typiquement féminin ou tout du moins délicat. Une idée me frappa et je reposais alors mon verre, un sourire ourlant mes lèvres. Jérémy prenait son verre d'eau et le porta à sa bouche, c'était le bon moment.
— OK, eh bien pourquoi pas fleuriste ?
Je vis Caz ouvrir de grands yeux, j'étais sûr d'avoir atteint mon but et de l'avoir touché dans sa virilité. Quant à Jérémy, il cracha sa gorgée d'eau, manquant s'étouffer.
— Oh merde ! s'exclama-t-il.
Il toussa, cherchant à retrouver son souffle et jeta un coup d'œil à Caz, qui affichait un air surpris et me fixait maintenant avec attention.
— Putain c'est le premier qui trouve !
Ce fut à mon tour d'écarquiller les yeux sous la surprise, avant de les plisser sous le doute. Je regardais mon cousin.
— Tu te fous de moi !
Mon regard fit le va-et-vient entre Caz et mon cousin avant de s'arrêter de nouveau sur le Cro-Magnon assis devant moi.
— Genre toi, t'es fleuriste ?
Caz croisa les bras sur sa poitrine et appuya son dos contre le dossier de sa chaise en me fixant. Il me semblait distinguer un léger sourire mais je n'étais pas sûr. Est-ce qu'il était vexé ou bien amusé ?
— Ouais je suis fleuriste, répondit-il de sa voix de basse. Un problème avec ça ?
Je secouais la tête de gauche à droite.
— Absolument aucun. C'est juste que ça me semble... improbable.
À nos côté Jérémy avait retrouvé son calme. Il but une gorgé d'eau pour faire passer tout ça, avant de se joindre à la conversation.
— Et pourtant je t'assure que c'est vrai ! Caz a même sa propre boutique. C'est même comme ça que l'on s'est rencontré.
— Et c'est surtout comme ça que tu as réussi à séduire Gwenn, ajouta Caz lui lançant un sourire moqueur.
Pour ma part je haussais un sourcil.
— Attends, je pensais que tu avais rencontré Gwenn durant vos études ?
Le sourire de Caz s'élargit.
— Quoi ? Jérémy ne t'a jamais raconté cette histoire ?
Je secouais la tête. Je savais que s'il ne m'en avait pas parlé c'est qu'il n'avait pas été à son avantage et j'étais du coup curieux de savoir ce qu'il s'était passé. Le regard qu'affichait Caz – celui de celui prêt à se payer la tête de quelqu'un – m'indiquait que j'allais vite le découvrir.
— C'est bon Caz, dit Jérémy en rigolant un peu jaune. Pas la peine de raconter cette vieille histoire. C'était il y a 10 ans. Il y a prescription maintenant.
— Non mon vieux ! Tant qu'on sera ami il n'y aura jamais prescription. Je pourrais peut être même en faire une partie de mon discours à ton mariage.
Jérémy leva les yeux au ciel, acceptant sa défaite, et Caz se tourna vers moi.
— Bon, alors il y a dix ans. Ce mec, là, dit-il en pointant Jérémy du pouce, se pointe devant ma boutique. Je le vois regarder les fleurs à l'extérieur, tourner en rond, tergiverser. Des roses, des tulipes, des marguerites... Le mec ne sait pas quoi prendre. Je sors donc pour aller l'aider et je lui demande ce qu'il cherche, pour quelle occasion.
J'écoutais Caz attentivement. À côté, Jérémy ne disait rien. Il avait son verre de vin à la main, et un petit sourire en coin sur le visage. Il était amusé autant qu'attendri par le souvenir commun. Je le voyais au regard qu'il avait. Quant à Caz, il lui jetait de temps en temps un coup d'œil complice tout en continuant à raconter son histoire.
— Là, il me dit, c'est pour offrir des fleurs à une jeune femme, j'aurais voulu un bouquet d'œillet jaune. Je l'ai regardé et sans même réfléchir, je lui balance « c'est pour une rupture votre bouquet ? » Et là je le vois se décomposer et perdre tous ses moyens.
— Ouais, dit Jérémy en entrant dans la conversation. Parce que c'est bien connu, tout le monde sait que les œillets jaune c'est une marque de mépris. C'est le truc le plus connu du monde.
— Ouais en tout cas, le jaune, ça n'a jamais été une couleur pour faire sa déclaration. L'amitié à la rigueur, mais pas son amour passionné.
— Je n'étais pas passionné de toute façon.
Caz éclata alors de rire.
— Fais gaffe, je vais lui dire à Gwenn que tu ne l'aimes pas.
Jérémy lui mit un coup dans l'épaule, mais en bon Cro-Magnon, Caz ne réagit même pas et conclut son histoire.
— Quoi qu'il en soit, je l'ai conseillé et lui ai vendu un superbe bouquet, que Gwenn a adoré. Dans les mois qui ont suivi, il est revenu régulièrement m'acheter des fleurs, et c'est grâce à ça qu'il a conclu avec Gwenn et qu'on est devenu amis.
Je hochais la tête avec un petit sourire. L'histoire était mignonne et bien loin de ridiculiser Jérémy, mais j'imaginais assez bien Caz se moquer de lui devant Gwenn avec cette histoire, et cette dernière en rajouter une couche.
Alors que les deux hommes en face de moi continuaient à se chamailler comme des enfants, le serveur vint débarrasser notre table, nous demandant si nous voulions autre chose. Nous commandâmes des cafés et des digestifs que nous buvâmes en abordant des sujets plus calmes.
Lorsqu'on sortit du restaurant, l'heure était déjà bien avancée, tout comme notre état. On se sépara au métro, prenant des trajets différents. Je serrais la main de Caz et remarquais les paumes calleuses, comparées aux miennes. À peine m'en faisais-je la réflexion qu'il retirait sa main, la plongeant à nouveau dans la poche de son jean.
Un dernier salut, et il nous tournait le dos, partant de son côté. Jérémy et moi continuâmes à discuter tout en descendant dans le métro, puis on se sépara après le tourniquet, partant à l'opposé l'un de l'autre.
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Pour un bouquet de fleurs
RomantikLe jour où Jérémy décide de se marier, c'est tout naturellement qu'il demande à Matteo, son cousin et Caz, son meilleur ami d'être ses témoins. Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais tous les opposent. Pour le bonheur de Jérémy, ils von...