37. CAZ

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J'avais passé la matinée dans mon bureau à faire les comptes et passer les commandes. Habituellement Thomas devait être sur mon dos et me couper toute possibilité de fuite pour que je m'y mette ; mais aujourd'hui j'avais affronté héroïquement ma tâche.

Je retournai dans la boutique et découvris Thomas et Nadia en plein messes basses autour d'une orchidée Cambria Nelly Isler. Je comprenais mieux pourquoi Thomas n'était pas venu me surveiller de la matinée.

À première vue, on pouvait penser qu'ils parlaient travail. Mais en y regardant de plus près, ces deux-là étaient clairement en train de flirter. Preuve en était leurs mains qui se frôlaient de temps à autre, et les regards qu'ils évitaient de se lancer. Sans compter qu'ils étaient clairement dans leur bulle et ne m'avaient même pas remarqué.

Je savais qu'ils se plaisaient mutuellement, et qu'ils étaient sortis plusieurs fois ensemble après le travail, mais j'ignorais toujours s'ils avaient passé le pas et s'ils sortaient oui ou non ensemble. Mais empotés qu'ils étaient l'un comme l'autre, je n'aurais même pas été surpris qu'ils se soient à peine embrassés.

Faisant celui qui ne leur prêtait pas la moindre attention, je me mis à faire un peu de bruit, vérifiant la caisse, rangeant quelques papiers. Du coin de l'œil, je les vis sursauter et s'éloigner légèrement l'un de l'autre. Une légère rougeur inonda également leurs joues. Ne pouvant me retenir, je leur tournai le dos pour sourire et lever les yeux au ciel.

Ils étaient aussi mièvres l'un que l'autre. Reprenant mon sérieux, je leur fis de nouveau face.

Il était midi passé, et je les envoyai déjeuner en même temps, ce qu'ils ne me firent pas répéter deux fois. Je me retrouvai donc seul à la boutique.

Sortant mon portable, je me dis que j'allais envoyer un SMS à Mattéo pour lui raconter ce qui s'était passé. Plus d'une fois nous avions plaisanté à propos de Thomas et de Nadia, et c'était le genre de scène qui le ferait marrer.

Je me stoppai avant même d'avoir commencé écrire.

Lui et moi étions toujours fâchés. Depuis notre retour de week-end, quinze jours plus tôt, nous n'avions pas vraiment repris contact l'un avec l'autre. Seulement un ou deux échanges de mails avec les témoins de Gwenn pour organiser des activités pour la soirée du mariage.

Mais de temps en temps, encore trop souvent à mon goût, je me mettais à penser à lui, me disant que telle chose pourrait le faire rire ou bien l'intéresser. C'était dire la place qu'il avait prise dans ma vie au cours de ces derniers mois. Et ça me mettait hors de moi de me rendre compte que tout avait été gâché parce qu'il était incapable d'assumer ce qui s'était passé.

Rangeant mon portable dans la poche arrière de mon jean, je chassai Mattéo de mon esprit et décidai de me mettre au travail en préparant quelques bouquets. Depuis que j'étais petit, assembler des fleurs entre elle pour en faire des bouquets m'avait toujours détendu. Je pouvais y passer des heures sans me lasser. Ordonnancement, taille, association de couleurs, tout était modifiable. Avec juste quelques fleurs, les possibilités de compositions étaient pratiquement infinies.

Je retrouvai rapidement mon calme, et ma concentration, et lorsque Thomas et Nadia revinrent, je partis à mon tour déjeuner. L'après-midi fut presque aussi calme que le matin, et j'en profitai pour faire le point avec Nadia sur sa formation, avant de la laisser rentrer chez elle.

Je me retrouvai donc seul avec Thomas qui terminait d'ici une heure. Cela nous laissait largement le temps de discuter lui et moi. Je le laissai finir de servir un client, et une fois qu'il l'eut encaissé et que l'homme fut parti, j'attaquai.

— Bon alors, tu en es où ?

— De quoi est-ce que tu parles ? me demanda-t-il.

— Je te parle de Nadia. Tu en es où avec elle ?

Thomas me dévisagea et se mit à rougir.

— J'en suis nulle part, c'est juste une collègue.

Je me moquai gentiment.

— À d'autres. Tu rougis dès que je te parle d'elle, vous êtes sans cesse en train de flirter. Ne viens pas me dire qu'elle ne te plait pas.

— Même si c'était le cas, il ne se passerait rien.

— Et pourquoi ? demandai-je en fronçant les sourcils.

— Parce que c'est une collègue. Si ça venait à capoter entre nous, ça deviendrait gênant au travail. Toi-même tu t'es fixé cette limite.

Je soupirai.

— Alors pour commencer, tu n'es pas moi. Il y a plein de couples qui se forment sur le lieu de travail. Et puis vu comme vous avez l'air de vous plaire et de vous entendre, ce serait stupide de ne pas tenter ta chance.

— Et si ça ne marchait quand même pas ?

Je haussai les épaules.

— Eh bien au moins tu serais fixé au lieu de te morfondre.

— Mouais... répondit Thomas avec une petite moue dubitative.

— Et puis si jamais ça ne marchait pas, et que ça devenait gênant comme tu dis, il me suffirait de te renvoyer pour régler le problème.

— Ah ah très drôle, lâcha Thomas avec un petit rire jaune.

— Mais je ne rigole pas, répondis-je d'un ton pince sans rire. Nadia est beaucoup moins butée que toi.

— Tu dis ça parce que tu l'intimides encore. Laisse-lui quelques mois et tu verras qu'elle est pire que moi.

— Et voilà, vous n'avez même pas encore rompu que tu lui tires déjà dans les pattes professionnellement.

Thomas leva les yeux au ciel, un petit sourire au coin des lèvres.

— Non mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre.

Je lui offris un clin d'œil tout en souriant alors que des clients entraient dans la boutique, interrompant notre conversation.

Thomas termina ensuite ce qu'il avait à faire, puis alla se changer. Il s'apprêtait à partir lorsque je le retins.

— Au fait Thomas, je plaisantai tout à l'heure. Je ne te virerai pas.

— Je sais, me répondit-il en souriant.

— Alors réfléchis à ce que je t'ai dit. Et ne passe pas à côté de ce qui pourrait être l'histoire de ta vie sous prétexte des risques qu'il pourrait y avoir.

Thomas me dévisagea longuement avant de redresser son sac sur son épaule.

— J'y penserai. Mais tu sais Caz, ce serait sans doute pas mal que tu suives tes propres conseils.

Je bloquai l'espace d'une seconde, avant de me mettre à rire.

— J'y penserai le jour où je trouverai quelqu'un. Allez files.

— Bonne soirée.

Je le saluai d'un signe de la main et il sortit de la boutique. Je me retrouvai seul, et je me sentis soudain seul.

C'était un sentiment que j'éprouvais régulièrement en ce moment. J'avais besoin de me changer les idées. J'avais besoin de compagnie pour chasser mon coup de cafard. Et je savais exactement quelle personne appeler.

Sortant mon portable, j'envoyai un message à Greg pour savoir s'il était sur Paris. Je n'eus pas longtemps à attendre pour obtenir une réponse. Malheureusement il était bloqué à Londres pour tout le mois.

Après avoir échangé quelques SMS je regardai le planning. Organiser un petit week-end à Londres ne s'avérait pas si compliqué.


Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant