8. MATTEO

5.5K 489 10
                                    


Franchement, la journée s'annonçait pénible, et je me demandais si j'allais passer la journée.

Je m'étais tout d'abord levé avec un mal de tête léger, mais persistant et lancinant qui n'avait pas réussi à passer malgré les litres d'eau que j'avais bu et les comprimés que j'avais pris. Ensuite, en arrivant au bureau, j'avais découvert que « mademoiselle Désolée » m'avait encore été attribuée, et ce malgré le second collègue de l'étude, ainsi que le patron. Néanmoins sur ce point, je n'étais pas le plus à plaindre, et j'adressais tous mes encouragements à Noémie, qui devait quant à elle, la seconder tout au long de la journée. Je me réjouissais néanmoins qu'il ne s'agisse que d'un stage d'observation. Il ne durait qu'une semaine et nous en serions après débarrassés.

Il y avait ensuite eu les dossiers, les clients à rencontrer et les contrats à établir. Ma journée avait donc été bien remplie depuis le matin lorsque des coups furent frappés à ma porte. Levant à peine le nez de mon bureau, j'invitais la personne à entrer, pensant qu'il s'agissait encore de la stagiaire, ou de Noémie. Je me redressais donc d'un coup en entendant la voix de mon patron me saluer.

— Monsieur Charpentier, excusez-moi, j'étais plongé dans l'étude d'un dossier.

Je me levai et lui serrai la main. C'était un homme d'une soixantaine d'années, ayant les cheveux grisonnant et des yeux verts qui vous scrutaient au point de parfois vous mettre mal à l'aise. Bien qu'il ait la soixantaine passée, cet homme gardait encore toute son énergie et sa vivacité d'esprit qui avait fait de lui un excellent notaire.

Il s'était assis en face de moi, jambes croisées et coudes appuyés contre les bras du fauteuil, et me fixait intensément, semblant chercher à deviner quelque chose à mon propos. Mal à l'aise, je me rassis et me raclai la gorge, lui rendant son regard.

— Il y a quelque chose dont vous souhaitiez me parler ? finis-je par demander.

Un léger sourire étira les lèvres de mon patron.

— Monsieur Parrier, depuis combien de temps travaillez-vous pour moi ?

Je réfléchis un instant. J'avais trouvé ce poste juste après avoir obtenu mon diplôme. J'avais alors 25 ans.

— Cela va bientôt faire 10 ans, dis-je en réalisant à quel point les années passaient vites.

L'homme en face de moi acquiesça, ça n'avait été qu'une question pour la forme, il connaissait déjà la réponse.

— Et tout au long de ces années, vous êtes devenu un élément solide de notre office. Surtout depuis votre spécialisation en conseil des familles.

— Je vous remercie Monsieur, dis-je perplexe, me demandant où il voulait en venir.

— Est-ce que vous avez envisagé de créer votre propre étude ?

Je marquais un temps de silence, surpris par le tour que prenait la conversation. Comme tout le monde dans la profession, j'avais entendu parler de l'ouverture d'office organisé par le gouvernement, et ne pouvait nier que je m'y étais intéressé, et que je réfléchissais à la possibilité de me mettre à mon compte.

— En effet. Le décret est paru il y a peu et j'envisage de postuler.

Le regard de mon patron se fit grave alors qu'il eut un nouveau petit hochement de tête.

— Vous allez avoir beaucoup de concurrence.

Je le savais, c'était aussi pour ça que j'étudiais actuellement toutes les possibilités. Ce que je comprenais moins, c'était où voulait en venir mon patron, qui n'était pas habitué à tourner autour du pot. Je lui en fis la remarque et il décroisa les jambes, changeant de position.

— Vous avez raison, autant aller droit au but. Je me fais vieux, et bien que je sois encore en pleine forme, ma femme me pousse à réfléchir à l'idée de prendre ma retraite. Je vous rassure, ce n'est toutefois pas pour tout de suite, compléta-t-il en riant.

Je hochais la tête, attendant la suite.

— Toujours est-il, qu'il faut que je lève le pied, et que je pense à la suite du cabinet.

Il se tut, me regardant toujours, jaugeant mes réactions, attendant que je dise quelque chose.

— Où voulez-vous en venir Monsieur Charpentier, vous me demander conseil ?

— Non. Je vous propose de devenir mon associé.

— Moi ?

— Vous. Cela fait 10 ans que vous travaillez pour moi. Vous vous êtes spécialisé dans le conseil des familles afin de compléter les compétences de ce cabinet qui officie à la base pour les entreprises. Vous êtes un homme solide et de confiance, doué pour ce qu'il fait. Si vous postuliez pour ouvrir votre propre étude, je ne doute pas que vous y arriveriez, mais il vous faudrait tout reprendre de zéro. Je vous propose de devenir mon associé et de reprendre l'office une fois que je partirai à la retraite. Qu'en pensez-vous ?

Je gardais le silence, trop surpris pour dire quoi que ce soit. Je ne m'attendais absolument pas à ce qu'il me fasse ce genre de proposition.

— Je ne sais quoi vous dire Monsieur Charpentier. C'est une perspective à laquelle il me faut réfléchir, et je ne peux pas vous donner de réponse comme ça.

L'homme acquiesça, souriant. Sûr de lui et de sa proposition, qui était – je ne pouvais le nier – une offre plus qu'alléchante.

— Eh bien prenez le temps d'y réfléchir. Je vous propose que nous déjeunions ensemble lundi prochain. Comme ça je vous montrerai les chiffres, ainsi que tous les documents pour que nous parlions de tout ça concrètement.

J'acquiesçais.

— Très bien. Faisons comme cela.

Il se leva.

— Déjeuner lundi, c'est noté. Je vous laisse y réfléchir. À plus tard.

Il sortit ensuite de mon bureau, me laissant trop abasourdi pour me remettre immédiatement au travail. De toutes les évolutions de carrières, je n'avais pas songé à la possibilité de racheter les parts et le fond de Monsieur Charpentier. Il y avait eu d'autres notaires dans l'étude, qui travaillaient exactement dans le domaine de notre patron ; et j'avais toujours pensé que l'un d'eux reprendrait le cabinet. D'ailleurs, mon collègue actuel l'espérait lui aussi. Mais il me l'avait proposé à moi.

J'avais rencontré Monsieur Charpentier dix années auparavant, lorsque tout juste diplômé, j'avais postulé chez lui au titre de notaire assistant. C'était ensuite sur ses conseils que 4 ans plus tard, je m'étais spécialisé en conseil des familles. Les chefs d'entreprises avec lesquels Monsieur Charpentier travaillait avaient également besoin de conseils pour leur vie privée. Cela m'avait permis de me faire une clientèle solide en même temps qu'une place permanente dans l'office.

À présent, j'avais la possibilité de devenir associé, je ne pouvais pas passer à côté de cette proposition. Il allait me falloir étudier mes finances et les possibilités d'emprunt, car assurément ce cabinet valait une petite fortune.

Refermant le dossier sur lequel je travaillais, je me levais. J'avais besoin d'une pause et de manger avant de me remettre au travail.


Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant