45. CAZ

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L'après-midi était passé à une vitesse folle, sans que je puisse réellement en profiter.

J'avais terminé les décorations ce matin. Même la chambre des mariés y était passée. Puis après la Mairie, nous nous étions dépêchés de retourner au Domaine avec Grégoire pour régler les derniers points d'organisation de la cérémonie et des festivités.

Lorsque Gwenn et Jérémy étaient arrivés, nous étions montés nous préparer, chaque marié avec ses demoiselles et garçons d'honneur dans une chambre différente. Nous avions été beaucoup plus rapides que les filles à nous préparer, et en avions profité pour partager entre homme un verre et quelques cigares.

J'avais, comme de bien entendu, essuyé quelques vannes sur mon patronyme de la part du groupe, Grégoire se joignant aux moqueries. Étrangement Mattéo et Jérémy étaient restés étonnement discrets sur la question, et je m'étais demandé ce que ça cachait sans pouvoir prendre le temps d'en discuter avec eux. Rapidement l'heure de la cérémonie était venue et nous nous étions rassemblés sur la terrasse.

Gwenn et Jérémy avaient demandé à la cousine de cette dernière d'officier pour la cérémonie laïque, et au cours de ces dernières semaines, elle nous avait contactés afin de participer. Famille et amis proches, nous y allâmes tous de nos discours, poèmes ou chansons, faisant pleurer les mariés.

La séance photo avait suivi, le temps pour le traiteur et ses équipes d'installer le vin d'honneur.

Je pouvais enfin respirer, mon travail de témoin était terminé et je l'avais rempli haut la main. Il ne restait à présent plus que l'animation de la soirée, mais avec un verre ou deux, ce ne serait qu'une gageure.

Alors que je discutais avec Grégoire, une coupe de champagne à la main, Gwenn et Jérémy nous rejoignirent. Ils revenaient d'une séance photo privée, et Gwenn me serra dans ses bras.

— Merci pour tout. Tu t'es vraiment dépassé pour la déco.

Je lui souris.

— De rien, ce n'était pas grand-chose.

Gwenn et Jérémy m'avaient laissé carte blanche pour la décoration, les seules indications étant qu'ils voulaient des couleurs blanches et orangées. J'avais donc décliné le thème autours de roses Elisabeth Stuart pour leur couleur abricot et leur parfum capiteux, de pivoines blanches et d'eremurus.

— Je suis presque déçue de devoir lancer le bouquet aux demoiselles d'honneur, ajouta-t-elle d'un ton dépité.

Je me mis à rire.

— T'inquiète, je t'ai fait un second bouquet dans ta chambre.

— Tu es parfait, s'exclama mon amie.

Nous n'eûmes pas le temps de discuter plus longtemps qu'ils se faisaient déjà alpaguer par d'autres invités, Grégoire et moi nous retrouvant seuls. Je terminai ma coupe d'une traite.

— Bon ce n'est pas le tout, mais après toutes ces émotions, j'ai besoin d'une clope, déclarai-je. Tu m'accompagnes ?

Grégoire secoua la tête.

— Sans moi. J'essaye d'arrêter.

— Depuis quand ?

— La semaine dernière.

J'éclatai de rire.

— OK. Je ne vais pas te décourager alors. Si on me cherche je serai en bas, près du ruisseau.

— Ça marche, je vais rejoindre les autres.

Grégoire se dirigea vers le groupe d'amis – avec qui il avait sympathisé pendant qu'on se préparait – tandis que je descendis l'escalier et marchai jusqu'au petit ruisseau qui se trouvait en contrebas du terrain, caché par les arbres. De là où je me trouvais, je pouvais entendre en fond sonore le brouhaha des rires et de la soirée.

Je m'allumai une cigarette et tirai une bouffée avant de la souffler tout en fermant les yeux. Déjà quand j'étais enfant, c'était mon endroit préféré. Je pouvais y rester des heures, sans que personne ne vienne me chercher. Je profitai du calme des lieux, lorsque des bruits de pas se firent entendre, et qu'une présence se fit sentir à côté de moi. Je restai un instant les yeux fermés. Au silence qui s'éternisait je sus que c'était lui. Il ne pouvait s'agir que de lui.

— C'est vraiment un endroit magnifique, je comprends que tu y tiennes tant.

Les poils de mes bras se hérissèrent en entendant sa voix, et je frissonnai. J'ouvris les yeux et exhalai une nouvelle bouffée de cigarette.

— Ouais. C'était l'endroit idéal pour leur mariage.

— Je trouve aussi.

Le silence retomba et je me tournai alors vers lui. Il se tenait à côté de moi, regardant lui aussi le ruisseau, les mains croisées derrière son dos. Tout comme moi il se tourna pour me faire face. Un léger sourire ourla ses lèvres et son regard s'illumina d'une trace d'humour.

— Casimir hein ?

Je souris à mon tour.

— Eh oui. Je t'avais dit que tu ne trouverais pas.

Le rire léger de Mattéo résonna et mon cœur s'emballa légèrement.

— Honnêtement j'y avais pensé, mais je trouvais ça trop énorme pour que ce soit ça. Je gardais cette option en dernier recours, pour quand je n'aurais plus eu d'idée.

— Finalement ce n'est jamais arrivé.

Ma voix mourut et le silence retomba entre nous, pesant. Je regardai de nouveau le ruisseau qui s'écoulait dans un doux clapotement. Je pensais que ça allait se terminer là, qu'il allait repartir, mais je l'entendis prendre une grande inspiration avant de la relâcher doucement, comme s'il se donnait du courage.

— Caz, finit-il par dire. Je suis vraiment désolé.

Je tournai la tête vers lui. Il me dévisageait, l'air sincèrement peiné.

— De quoi ? demandai-je sans animosité.

Oui. De quoi voulait-il s'excuser au juste ? De cette fameuse nuit entre nous, de la dispute qui avait suivi et des mois de froids que nous avions passés sans nous adresser la parole ? Je voulais entendre la réponse, mais je la craignais en même temps. Moi aussi j'avais des choses à lui dire, mais peut-être qu'il ne m'en laisserait pas le temps.

— De tout, dit-il.

Je m'apprêtai à lui répondre, mais il me devença et continua :

— Je suis désolé d'avoir paniqué, désolé de t'avoir blessé en te laissant croire que ce qui s'était passé n'avait pas d'importance. Désolé d'avoir été trop con et d'avoir fait passer mon confort, ou ce que je croyais l'être, avant notre amitié. Désolé d'avoir été trop têtu pour revenir vers toi avant.

Je le regardai déverser son flot d'excuses, sans qu'il me laisse en placer une et je m'avançai pour poser une main sur son épaule.

— Arrête Mattéo. Tu n'as pas à t'excuser.

Il secoua la tête.

— Si. J'ai vraiment fait de la merde. Mais la seule chose pour laquelle je ne m'excuserai pas, c'est pour ce qui s'est passé cette nuit-là.

Je laissai retomber mon bras contre mon flanc. Mon cœur battait à toute vitesse et je fermai les yeux avant de secouer la tête de gauche à droite.

Je n'arrivai pas à croire ce que je venais d'entendre. Je pris une inspiration tremblante et rouvris les yeux. Mattéo me regardait toujours, mais je pouvais lire le doute dans ses yeux. Avant qu'il puisse dire quoi que soit qui pourrait tout gâcher une nouvelle fois, je pris ses mains entre les miennes et les serrai.

— Espèce d'abruti, lui dis-je en souriant.


Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant