21. CAZ

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J'étais assis derrière mon bureau, le regard fixé sur mon téléphone portable que je tenais à la main depuis au moins cinq bonnes minutes. J'avais repoussé l'appel tout le reste du weekend, et ce matin encore j'avais prétexté être seul à la boutique pour ne pas avoir à le passer. Mais nous étions en début d'après-midi, et Thomas était arrivé depuis longtemps.

En clair je procrastinais.

J'avais donné ma parole à Gwenn que j'appellerais ma mère. Je ne pourrais pas repousser indéfiniment cet appel. Mais je savais déjà comment ça allait se finir, et ça ne m'enchantais pas plus que ça.

Prenant une grande inspiration, je m'apprêtais à appuyer sur le bouton, lorsque quelques coups frappés à ma porte me firent lever la tête. Thomas se tenait dans l'encadrement, me fixant du regard.

— Oui ? demandai-je.

— Ça fait un moment que tu es là, je me demandais juste si tout allait bien.

J'opinai.

— Oui oui, tout va bien, ne t'en fais pas.

Je le vis froncer les sourcils et entrer dans la pièce.

— Tu es sûr ? Depuis ce matin tu es ailleurs.

Mon employé qui se faisait du souci pour moi et me remontait les bretelles ? Ça c'était la meilleure. Avant que je puisse lui répondre, il ajouta :

— C'est à cause du mec de l'autre jour ?

Je haussai un sourcil.

— Celui qui est venu samedi, le roux, insista-t-il.

— Mattéo ?! m'exclamai-je en comprenant de qui il parlait.

J'éclatai de rire. Mattéo était loin d'être un souci pour moi.

— Alors là rien à voir. C'est le cousin de Jérémy.

— Tu couches avec le cousin de ton meilleur ami ?

— Mais... répondis-je pris au dépourvu. Mais bien sûr que non !! Qu'est-ce que t'as dans le crâne toi ?

Thomas haussa les épaules, ouvrant ses paumes de main en l'air.

— Bah quoi ? Je t'ai déjà vu avec des mecs, c'est plutôt ton genre. Enfin si c'est pas lui qui te préoccupe, c'est quoi le problème ?

— Y a pas de problème.

Thomas haussa un sourcil dubitatif.

— Y a pas de problème je te dis. Juste un appel que je dois passer.

— Hum hum, d'accord. J'insiste pas, mais si tu pouvais te dépêcher de passer ton coup de fil ce serait cool ; parce que je te rappelle que Nadia est en cours cette semaine et qu'on est que tous les deux.

— Ouais, ça va. J'arrive.

Il me lança un dernier regard et fit demi-tour. Juste avant de sortir il me lança :

— Ah et puisque maintenant tu fais dans la famille, rappelle-moi de ne pas te présenter mon frère.

J'attrapai la première chose qui me vint à la main – une boîte de mouchoirs – et la lançait dans sa direction, tout en le manquant.

— P'tit con !

Sa seule réponse fut son éclat de rire dans le couloir.

Je me retrouvai de nouveau seul face à mon portable. Thomas avait raison. Il fallait que je me débarrasse de cette corvée une bonne fois pour toute. Je déverrouillai mon portable et appuyai sur le bouton d'appel sans réfléchir plus longtemps. J'avais déjà tourné et retourné dans ma tête ce que j'allais dire.

La ligne sonna deux fois avant que ça ne décroche :

— Oui allo ?

— Bonjour maman, c'est Caz.

Il y eut un léger silence marquant sa surprise. Il faut dire que je ne l'appelai pas souvent.

— Bonjour mon chéri. Que me vaut votre appel, vous avez un problème ?

Je levai les yeux au ciel. Elle s'imaginait toujours le pire.

— Non non, aucun problème. Je vous contactais pour une demande concernant le domaine.

Nouveau silence durant lequel je savais qu'elle se demandait si elle devait tenter de me faire la conversation ou non avant d'en venir aux faits.

— Oui ? finit-elle pas me répondre.

— Je voulais savoir s'il serait disponible le weekend du 1er juillet.

— Eh bien nous avions prévu d'y passer le weekend avec votre père. Pourquoi, vous en avez besoin ?

Je me mordis la lèvre inférieure. J'avais promis à Gwenn d'appeler et de me renseigner des raisons de l'indisponibilité, ni plus, ni moins. Mais si mes parents y étaient pour le weekend, elle n'aurait aucun moyen de négocier ; à moins que je ne m'en mêle.

— Eh bien s'il était possible pour vous de déplacer votre weekend, j'en aurais en effet besoin pour un évènement.

— Vraiment ? Quel genre d'évènement ?

Maintenant que j'étais lancé, autant ne pas passer par quatre chemins.

— Mes meilleurs amis vont se marier et ils cherchent un lieu. Je me suis dit que le domaine serait l'endroit idéal et je vous ai appelé avant de leur en parler.

Il y eut un autre silence à l'autre bout de la ligne avant que ma mère ne reprenne la parole.

— Venez au déjeuner familial ce dimanche et nous en discuterons.

Je me mordis de nouveau la lèvre inférieure. Je savais déjà que ça se finirait comme ça.

— Ce ne sera pas possible ce dimanche, je travaille.

— Ah oui... Eh bien le dimanche d'après dans ce cas.

— Très bien.

— Parfait. Cela fait longtemps que nous ne vous avons pas vu. Tout le monde sera ravi de votre présence. À dimanche prochain mon chéri.

Je me gardai de répondre que ça me faisait plaisir également, c'était plus une corvée qu'autre chose pour moi. Je me contentai de répondre :

— À dimanche maman.

Ayant raccroché, je laissai retomber mon front contre la table. J'avais mis le doigt dans l'engrenage. Si j'arrivais à négocier le domaine pour Gwenn et Jérémy, j'étais bon pour des déjeuners dominicaux guindés au moins jusqu'au mariage. Et si ce n'était que ça, j'aurais encore de la chance.

Autant dire que dans ce cas Gwenn et Jérem' me seraient redevable à vie.


Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant