7. CAZ

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La soirée de la veille s'était plutôt bien terminée et j'étais rentré chez moi à pied, histoire de prendre un peu l'air avant de me coucher.

Lorsque le réveil sonna, je me levais péniblement. J'étais d'ouverture, et je me maudissais de ne pas avoir demandé à Thomas s'il pouvait me remplacer ; ce qui aurait pu me permettre d'ajouter deux ou trois heures de plus à mon compteur.

Je soupirais. Où était passé le mec capable d'enchainer deux jours de fêtes sans dormir et d'aller bosser le lendemain, frais comme un gardon ? Sûrement mort en même temps que sa jeunesse.

En automatisme, je me trainais sous la douche et fis couler le jet d'eau froide histoire de me réveiller un peu. Une fois propre, je m'habillais, me préparais un café que je versais dans un thermos avant de sortir de chez moi.

En cette fin de mois de septembre, il faisait encore doux, et à 7h30 du matin, le soleil se levait à peine. J'avais toujours bien aimé ce moment de la journée où les rues n'étaient pas encore trop animées.

Vingt minutes de marche et un café plus tard, j'arrivais, à la boutique, enfin réveillé et prêt à affronter la journée. D'autant que ce midi j'avais rendez-vous avec Gwenn, et je savais d'avance que mon amie serait pour sa part pleine d'énergie.

Je passais les quarante minutes suivantes à mettre en place la boutique, agençant les fleurs qu'il me fallait écouler rapidement, m'occupant des plantes en pot pour leur redonner un peu de fraîcheur ; et préparant des bouquets d'avance pour la clientèle pressée, qui ne voudrait pas passer plus de quelques minutes à choisir des fleurs. J'ouvris la boutique à 8h30 tapante, et continuais mon activité, attendant les premiers clients.

C'était ici que j'avais fait mes premières armes, auprès du propriétaire précédent. Monsieur Dubois m'avait accueilli et appris tout ce que je savais du métier. Lorsqu'il était parti en retraite, il m'avait cédé le fond de commerce et j'avais continué à travailler dans sa continuité. La fleuristerie se trouvait près de la Gare de Lyon, ce qui permettait à la fois d'avoir une clientèle d'habituées, mais également de passage. Cet homme avait pensé à tout lorsqu'il avait ouvert la boutique.

Penser à lui me rendit nostalgique. J'avais encore des nouvelles du vieil homme de temps en temps, soit par un coup de fil, soit par une carte postale. Une fois par an je descendais également le voir dans sa petite maison de bord de mer en Bretagne. Il y coulait des jours paisibles. Au fil des années, il était devenu un membre à part entière de ma famille ; plus que mes propres parents en tout cas. Il faudrait que j'appelle Charles bientôt pour prendre de ses nouvelles.

La clochette tinta à l'ouverture de la porte, me sortant de mes pensées mélancoliques. Un couple entra et je les saluais. Ils regardèrent un instant les fleurs, tout en discutant, et je les laissais faire sans intervenir. Je compris rapidement qu'il s'agissait en fait de collègues de travail, et qu'ils cherchaient un bouquet pour féliciter l'une de leur collaboratrice qui avait eu un enfant et revenait de congé maternité. L'homme s'approcha bientôt du comptoir et me demanda conseil. Après m'avoir expliqué la situation et m'avoir dit leur budget, je leur proposais de faire un bouquet sur mesure. Dix minutes plus tard, le duo repartait ravi, la femme ayant pris ma carte pour d'autres occasions.

Les deux heures qui suivirent furent assez calmes et je ne fus pas mécontent de voir arriver Thomas les mains chargées de deux cafés et d'une petite boite venant d'une des pâtisseries du marché d'Aligre.

— Salut patron !

— Bonjour Thomas, répondis-je le regard fixé sur ce qu'il tenait entre ses mains.

Je savais que pour qu'il m'amène des douceurs, c'est qu'il avait quelque chose à me demander mais j'étais toujours prêt à me faire soudoyer si ça en valait la peine. Il déposa sur le comptoir les deux gobelets plein d'un double expresso chacun, ainsi que la boite de pâtisserie ; puis partit se changer à l'arrière de la boutique. Il revint quelques minutes plus tard, terminant d'attacher son tablier. Mon gobelet déjà dans les mains, je le regardais venir vers moi, comme si de rien n'était.

— Comment s'est passé la matinée ? me demanda-t-il en souriant.

— Assez calme.

Je bus une gorgée de café, le laissant venir ; mais il continua à parler sur le ton badin de celui qui fait la conversation. Je n'étais pas connu pour ma patience et il le savait. Je ne tardais pas à craquer.

— Bon, c'est pour quoi ces pâtisserie ? finis-je par demander tout en me léchant les doigts après avoir mangé une corne de gazelle.

— Quoi, je ne peux pas seulement avoir envie de te faire plaisir ?

Je croisais les bras et lui lançais un regard noir, qui ne le fit pas ciller le moins du monde. Il se contenta de son rire tranquille. Je fronçais encore plus les sourcils. Fut un temps où il aurait tremblé rien qu'à cause de mon silence. Il me connaissait maintenant trop bien.

— D'accord, d'accord. Pas la peine de devenir grognon. Hier après ton départ, une jeune fille est venue déposer un cv et une lettre de motivation.

— Pour ?

Thomas leva les yeux au ciel.

— Elle fait un CAP fleuriste en une année et cherche un stage de seize semaines. J'ai déposé son cv et sa lettre de motivation sur ton bureau.

J'avais toujours les bras croisés. Sans me quitter des yeux, il poussa la boite de pâtisseries vers moi. Je soupirais.

— D'accord. Je regarderai ça cet après-midi en rentrant de mon déjeuner.

Je refermais la boite, résistant à la tentation de me resservir. Il allait bientôt être 11h et je ne voulais pas m'empiffrer avant de retrouver Gwenn. D'autant que le déjeuner passerait sur les frais de sa boîte. Il fallait donc que je garde de la place pour en profiter.

Je pensais m'en être tiré à bon compte avec Thomas, mais ce dernier se racla la gorge tout en continuant à me fixer.

— Quoi ? Je t'ai dit que je regardais cet aprem.

— Tu es sans cesse en train de râler qu'il y a trop de travail pour nous deux et qu'il faudrait une troisième personne.

— Je ne râle pas.

— Si tu râles, et tu bougonnes en permanence. Va voir son CV.

— Depuis quand tu es devenu un tel tortionnaire toi ?

— J'ai appris ça auprès de toi. Je te signale que ça va bientôt être la période des fêtes et je refuse de faire des heures supp tous les soirs parce que monsieur n'aura pensé à embaucher personne.

Je levais les yeux au ciel. Ce n'était arrivé qu'une fois depuis le départ de Charles. Bon peut être deux ou trois en effet. Je soupirais.

— D'accord, d'accord, j'y vais.

Je me dirigeais vers l'arrière-boutique, là où se trouvait mon bureau. En effet posé bien en évidence, se trouvait un CV et une lettre de motivation. Je m'installais pour lire les documents. La jeune femme s'appelait Nadia, avait 19ans et avait passé un CAP coiffure avant de vouloir faire une reconversion en fleuristerie. J'avais moi-même fait un changement de cap dans ma vie, et Charles m'avait tendu la main.

En réalité nous n'avions pas vraiment besoin d'une troisième personne dans la boutique. Thomas et moi nous en sortions très bien, ou pratiquement. Il y avait certes des périodes où nous avions beaucoup de travail, mais c'était le lot de toutes les fleuristeries. Et certes, je ne passais pas assez de temps à faire mon travail de gestion, prenant parfois sur mes jours de congés pour m'en occuper. Une troisième personne, si elle s'en sortait, nous permettrait d'aménager les horaires et me libèrerai du temps pour la partie la moins sympa de mon travail.

Et puis, j'avais toujours tendance à me laisser attendrir par les parcours similaires au mien. Je soupirai et pris le téléphone afin de la contacter et de lui fixer un rendez-vous pour le lendemain.


Pour un bouquet de fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant