Chapitre 5 : Résultats

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Le lendemain matin, le réveil fut coriace. Au moindre mouvement, je sentais les courbatures. Mes yeux étaient croûtés et cernés. Je ressemblais à un zombie. Je n'avais presque pas dormi de la nuit, mes pensées prenant le dessus sur mon sommeil. Je me levai péniblement et sortis du lit sans grande envie. Mes pieds touchèrent le sol frais et un frisson me parcourut. J'avais froid.

Agacée, j'enlevais le collier de mon cou et le posai sur l'unique table de nuit de la pièce. Au moins je ne ressentirai plus le froid. Je serais immunisée pour la matinée. Ma faculté était un miracle et un sacrilège. Et aujourd'hui je préférais en bénéficier pour ne pas me glacer les os.

Je me préparai rapidement et quittai la pièce en direction de la grande salle. Peu de monde était encore debout. Mais ceux qui étaient ici étaient dans le même état que moi sauf qu'ils le cachaient mieux. Je m'emparai de mon petit déjeuner et m'installai à ma place.

« - Bien dormi ? me lança Bryan d'un ton enjoué.

- Mieux que dans cette maudite forêt.

- Au moins tu as eu de la compagnie toi, renchéris Sofia amusé. »

Je mimai un rire jaune silencieux, n'étant pas dans mon assiette. La discussion d'hier tournait encore en boucle dans ma tête et je savais que Loan m'avait utilisée pour avoir son premier « pass spatio-temporel ». C'était ainsi que j'avais décidé d'appeler ce voyage vers notre monde.

Trop distraite par mes pensées, je n'écoutai pas leurs discussions et regardai mon repas avec dégoût. Je n'avais pas faim. Je piochai dans mes œufs trop cuits avec ma fourchette, jouant avec pour faire passer le temps. Je finis par repousser mon plateau et croisai les bras pour y mettre ma tête à l'intérieur. J'allais finir ma nuit ici. Je fermai les yeux et tentais d'oublier ce qui m'entourait. Ce fut peine perdue. La salle se remplissait de bavardages, de bruits de chaises, de plateaux. C'était une vraie cantine ambulante. Je relevai la tête, contrariée, et croisai le regard de Bryan.

« - Es-tu sûre que tout va bien ? »

Je fis signe que oui de la tête, souriant légèrement pour qu'il me lâche. L'entraînement d'hier m'avait épuisée. Tout s'enchaînait et j'avais du mal à gérer mes émotions ainsi que mon corps courbaturé. Le directeur l'avait bien dit hier. Nous devions travailler sur nos lacunes. Mais par où devais-je commencer ? Par mon manque d'orientation ? Mes peurs qui me figeaient d'effroi ? Mon incapacité physique à survivre dans un environnement hostile ? Je ne trouvais aucun point positif à cette épreuve ratée. J'avais juste servi de passerelle pour un camarade. Super l'avancement en plusieurs semaines. J'étais une brebis effarée et perdue.

Je soufflai d'agacement et laissai mon attention se poser sur chacun d'entre eux avant de m'arrêter sur Loan. Il était à sa place habituelle, entouré de son groupe d'amis, mais il semblait perdu dans ses pensées. Il semblait encore plus solitaire. Il s'était isolé, concentré. Peut-être devait-il se préparer mentalement pour son premier « pass spatio-temporel » ?

Comme s'il comprenait que je l'observai, il releva ses yeux vers moi et planta son regard dans le mien. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, ma respiration se bloqua et mes pensées s'embrouillèrent. Ses yeux étaient tellement perçants, expressifs d'une multitude de sentiments.

J'avais l'impression que le reste de la pièce avait disparu et qu'il ne restait que nous deux. C'était troublant et intense. Mais avant que je ne puisse démêler et comprendre son regard, il rompit le contact et mangea, comme si je n'existais pas. Ma poitrine se gonfla et les battements de mon cœur s'accélérèrent.

En même temps, il avait foutu des cotons dans mes narines. Pas génial le rapprochement.

« - J'y vais. J'ai ma visite médicale ce matin. »

Je me levai, pressée de quitter la table. J'avais besoin d'être seule et de réfléchir. Je passai la porte de l'infirmerie, tremblante et perturbée.

« - Agathe ! Vous voilà enfin !

- Oui, je devais passer hier mais avec l'exercice, j'ai été un peu prise.

- Je comprends, asseyez-vous. »

Je ne me fis pas prier et m'assis en face de son bureau, cachant mon mal-être. Il finit d'écrire sur son dossier avant de reporter son attention vers moi, souriant légèrement.

« - Nous avons reçu vos analyses hier matin.

- Ah bon ? Et alors ? M'empressai-je de demander intéressée.

- Malheureusement, rien de très concluant. Votre IRM s'est très bien passée. Rien d'alarmant et rien qui n'explique votre spécificité.

- Donc on ne sait toujours pas pourquoi je ne ressens pas le froid sans le collier ?

- Non. »

Je ris légèrement, énervée. J'en avais marre. Tout fonctionnait parfaitement chez moi pourtant je n'étais pas comme les autres. J'étais anormale. Un spécimen contre-nature. C'était agaçant. Pourquoi ne pouvais-je pas vivre normalement comme les autres ? Pourquoi la vie m'infligeait-elle cette épreuve de différence ? Cherchait-elle à me tester ? Je n'en savais rien mais à ce moment précis, j'aurais tout donné pour être normale.

Je m'installai au fond du siège et croisai les bras, attendant la suite.

« - Et maintenant on fait quoi ?

- Rien, on laisse faire. Ce n'est pas une pathologie donc rien qui ne nuit à votre santé.

- Alors pourquoi j'ai ça ? À quoi ça me sert ?

- Je ne sais pas, peut-être que cela a une importance dans votre monde. Mais la science ne peut expliquer votre don. »

Encore et toujours. À chaque fois, cette excuse était prononcée. Comme si naître dans un univers parallèle pouvait expliquer absolument tout. Mes facultés. Le meurtre. Le collier. Mais ce n'était en réalité qu'un cache-misère. Personne n'osait se pencher sur les causes. Mes facultés n'étaient pas apparues par magie, il y avait forcément une explication derrière.

Je fronçai les sourcils. Quel avantage aurais-je à ne pas ressentir le froid ? Je pouvais très bien m'habiller chaudement, cela reviendrait au même. Je soufflai d'exaspération. Pourquoi étais-je différente ? Pourquoi moi ? J'aurais tellement voulu être normale.

« - Je suis désolé. »

Je lui souris faiblement et baissai mon regard. Seize ans. Seize longues années d'analyses en tout genre. Et tout ça pour quoi ? Rien. La science n'était même pas capable d'expliquer ce que j'étais. Personne ne le pouvait.

« - Merci quand même. »

Je sortis de l'infirmerie, encore plus dépitée qu'en arrivant. Rien n'allait chez moi. Je me dirigeai vers la bibliothèque, d'un pas lourd.

Même si ce n'était pas un handicap, j'aurai voulu avoir la liberté de ressentir le froid quand il faisait frais. Je voulais être comme tout le monde, subir la fraîcheur. Je m'étais toujours demandée si cette particularité était éphémère ou permanente. Je priai pour qu'elle soit éphémère. Après tout, peut-être qu'en retournant sur mes terres d'origine, cela disparaîtrait.

Je m'installai à une table, un peu à l'écart et pris place sur la chaise en bois inconfortable.

« - L'IRM a donné quelque chose ? »

Je sortis de mes pensées et relevai la tête vers Sofia qui s'était installée en face de moi.

« - Non ça n'a rien donné. Ils sont maintenant résignés à ne rien faire puisque ma spécificité n'est pas nocive.

- Je suis navrée pour toi. Mais vaut mieux un tel diagnostic plutôt qu'une mauvaise nouvelle. »

J'acquiesçai légèrement, acceptant la fatalité de ce constat. Sofia avait raison, encore une fois. 

***

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