Chapitre 20 - Le nouvel ange

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« Brillant dans le noir bleu de la nuit, d'en haut je la vois et je l'envie, car tournant le dos aux étoiles, jamais je ne pourrai comme elle les contempler.

Et son sourire ! Ô son sourire... fugitif et insaisissable, ornant son visage angélique. Sourire de lune, peut-on dire,

Toujours croissant et toujours plein, il se fond sur sa peau, plus claire et plus douce que ne le sera ma lueur. Ainsi son teint n'est jamais assombri ; aucun nuage n'ose venir l'obscurcir.

Nul besoin pour elle d'être alors juchée dans le ciel, de sa chevelure fine et céleste, elle irradie la nuit de mille et une paillettes. »

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*

La Lune prononce ces mots tandis qu'Amandine tombe, tombe et tombe dans le vide et tente de contrôler ses ailes. Elle tombe, elle vrille, tourne sur elle-même et tombe encore dans l'air qui fait vibrer sa peau, plaque ses ailes contre son corps. Elle tombe, résiste pour les ouvrir avant de comprendre enfin qu'elle doit se laisser faire, lâcher sa prise. Les ailes s'ouvrent dans le sens de la chute, imprimant sa force à l'air qui fuse entre les plumes. L'apprentissage est rapide. La chute l'y oblige. Un rien de temps lui suffit à faire de ses ailes le prolongement d'elle-même et elle se redresse, embrasse la courbe du vide, plane, laissant le vent la porter.

La Lune vient de finir sa phrase.

À cet instant, l'air s'enflamme créant un courant ascendant, permettant à l'oiselle de reprendre de l'altitude. Ses ailes battent l'air comme le ferait un aigle, comme le ferait un ange. Amandine vole comme si elle avait fait ça toute sa vie, enfin... toutes ses nuits.

La rêveuse désire monter haut, toujours plus haut. Elle sent que la Lune dépose une dernière fois son regard sur elle, mais Amandine ne se retournera pas pour la remercier et lui rendre son sourire de Lune. L'ange tend les bras le long du corps, elle laisse ses mains ouvertes pour sentir l'air s'engouffrer dans ses paumes. Elle reconnaît les vents qui l'accompagnent ; le vent d'Amont, le vent d'Aval, la Bise, l'Alysé, les vents froids du Nord, les vents chauds du Sud, le vent du Ponant et le vent du Levant ; ils viennent lui caresser la peau, lui offrant une rose et d'autres présents : effluves qu'elle ne connaît pas, visions de paysages qu'elle aimerait découvrir. Un coquelicot lui apparaît, une simple fleur qui, se confiant à elle, lui semble des plus extraordinaires. Voici ce qu'il lui dit :

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« Parmi pétales et cendres de l'intarissable fertilité, comme je me sentais seul dans l'immensité. Je me sentais seul, moi, pauvre petit cœur, goutte pourpre noyée dans un océan de fleurs.

Les blés ne nous faisaient plus ombrage, et ce fut un rude soleil d'été qui me claquait les feuilles pendant que je me balançais, si insignifiant, au milieu d'un champ de naissances et de deuils.

Je me balançais et entamais la même danse que toutes mes sœurs et nous ondulions, ensemble, sous le souffle du vent dont l'haleine brûlante me faisait vaciller, en mouvements écarlates, ma chair enflammée.

Et je brûlais d'être aussi seul face à ce mur de fleurs qui obstruait mon champ de vision. Ne sachant où trouver l'horizon, je brûlais et captais tous les rayons de l'astre du jour, tirant sur sa lumière pour m'élever, m'arracher au-dessus des barrières. Je voulais voir et savoir, avec ardeur, j'ouvrais mon pauvre petit cœur.

Et puis un jour, un jour où je n'attendais plus, l'air sembla plus doux, le temps se permit de voler une minute à l'éternité. Et pendant une minute, le soleil devint timide et se décida à briller d'une tendre intensité. Le monde fit silence, j'arrêtai de battre et elle passa au-dessus de moi, nuage fugitif, et posa, par un doux hasard, ses lèvres sur mes pétales flétris par le temps et la mélancolie.

Je crus qu'elle s'embauma d'un reste de rougeur et que sa bouche puisa son essence jusque dans mes racines, mais elle libéra ce "moi" qu'enfermait mon pauvre cœur. Je compris : ce que je ne vois pas est là, en moi, je le devine.

Et son regard... son regard me révéla ce qu'elle a vu, choses bonnes et détestables, jeux d'ombres et de lumières, pour me dessiner, vrai, dans ce fabuleux paysage. Et dans ses yeux j'ai pu lire le rêve, le message qu'elle porte en elle.

Elle m'embrassa et reprit son envol.

Au rythme de ses ailes, je me remis à battre et depuis je danse et je danse avec mes sœurs, petit cœur riche et beau comme une fleur. Et je danse en silence, car peut-être profitera-t-elle d'une minute volée au temps pour joindre à mon mouvement le battement de ses ailes. »

***

**

*

Amandine embrasse le coquelicot. Elle lui promet, oui, elle lui promet qu'elle ira, un jour, le retrouver. Avant cela, elle veut encore monter, s'envoler aussi haut qu'elle le pourra, parcourir le ciel, atteindre l'inaccessible et l'impossible, quitter les rues gorgées de bitume, quitter la ville de béton, quitter le Dôme pour embrasser les étoiles. Elle a déjà quitté sa propre cage, elle veut maintenant franchir ses propres limites, pousser les barrières toujours plus loin, si loin que les vents ne peuvent plus la suivre. Ils la laissent poursuivre son voyage. Elle doit le faire seule. Ils le savent.

L'aigle est à portée de vue. Il s'élève d'un battement d'ailes tranquille ; lui n'est pas pressé, ce n'est qu'un guide. Amandine arrive à son niveau. Inutile de forcer le cours de l'eau, elle empruntera sa voie et ruissellera, car rien ne pourra l'arrêter.

Le nouvel ange cale son mouvement à celui de l'aigle et l'un à côté de l'autre, ils poursuivent leur ascension en cette nuit parmi les étoiles.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant