Chapitre 24 - Un présent

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C'était une journée semblable à toutes les autres journées qui m'attendait. Un matin qui allait commencer comme tous les autres matins : par un présent. Un là, un maintenant, donné à chaque instant, la promesse d'un nouveau jour différent de celui d'hier. C'est ce que je me dis chaque matin deux minutes avant que sonne le réveil. Il est sept heures moins quart : "tutututute, tutututute, tutututute".

La paupière est déjà ouverte. Le crépuscule avait envoyé sa lueur annonçant avant l'heure : "c'est le matin" enfin, c'est ce que je me dis. Je sais que le bon-jour ne m'est pas particulièrement adressé. Comment savoir finalement, si ce n'est pas que pour nous que le soleil se lève ? Un bon-jour offert chaque fois que finit la nuit, une belle pensée adressée encore et encore. Et à cela s'en suit toujours la sonnerie du réveil : " tutututute, tutututute, tutututute..." Il est sept heures moins quart, c'est le matin : il faut se lever.

Je pose la main sur le bouton déclencheur du réveil. La sonnerie se tait. Je n'aime pas ce bruit, je n'en ai jamais eu besoin, je me réveille avec le soleil. Impossible de trouver désactiver ce truc. J'ai essayé de m'en plaindre, mais il semble que personne ne s'occupe de ces choses-là. C'est quand même bien qu'il soit là, car une fois que le matin me salue, je replonge dans le sommeil, juste quelques instants sous la couverture, dans le confort du jour qui se lève, allongé sur le ventre, le visage tourné vers la fenêtre.

Les volets automatiques de ma chambre sont ouverts. C'est le matin. Il faut se lever. Heureusement que le réveil sera là pour me le rappeler. Je ne pourrais témoigner de la longueur de ce sommeil instantanée, dire combien de secondes, minutes, heures, années ou éternités je plonge dans cet instant, mais le jour n'aime pas se faire oublier : " tutututute, tutututute, tutututute ". Je pose les pieds sur le sol. Glaciale, revigorante, la dalle de béton est la première épreuve de la journée. Je me lève.

La sonnerie du réveil s'arrête.

C'est ce qu'aurait dit Raphaël, s'il avait été là pour raconter la suite de cette histoire. Mais, il n'est pas là. Il est en train de se lever dans un autre temps, un autre espace. Tu le connais de mieux en mieux ce monde-là, il te rappelle peut être le tien, ou inversement, tels deux miroirs qui, face à face, s'échangeraient leurs reflets jusqu'à l'infini. On peut s'amuser à noter les petits écarts qui mettent en avant les ressemblances.

Alors que tu as déjà fait la connaissance d'Amandine, voilà qu'arrive un nouveau personnage. Un garçon, ou plutôt un jeune homme. Si l'on jette un œil aux archives du Ministère pour la continuité de l'espèce, on apprendra que deux années séparent nos deux protagonistes. Peu importe qui arriva le premier, une chose à propos de Raphaël, une seule, mérite d'être décrite : son sourire, un soleil ce sourire.

Et pendant qu'il sourit, ses lèvres se mettront à bouger et tu pourras t'y suspendre pour écouter ses histoires narrant les aventures des Faiseurs d'étoiles, du Chimérologue, du Chasseur de vents. Tu pourrais vivre avec lui des histoires de Loups et peut-être même pousser la porte de l'humble chaumière appartenant à la Bienveilleuse. Et buvant ses mots, Raphaël ouvrira ton cœur pour te murmurer :

L'ombre n'a pas d'importance. Seul compte ce qui fait obstruction à la lumière, seul compte le pas de côté que tu ferras pour quitter l'angle mort des choses et des événements.

Dit comme ça, tout semble simple pour celui qui sourit. Il sait, il sait pertinemment que rien n'est facile, que le combat contre l'Ombre est une épreuve, qu'elle s'accroche à votre peau, qu'elle vient lorsque les volets sont clos, sous forme de lune parfois. C'est beau la lune, c'est tendre la lune, on aime la regarder, et elle arrive deux minutes avant le jour, on se réveille et l'on est déjà à ses côtés, elle nous tient, on ne veut pas la lâcher, on se complaît à l'avoir près de nous, à nous regarder ensemble, avec ce chagrin, avec cette tristesse qui nous dévore et à laquelle on ne voudrait pour rien au monde se séparer tandis que l'on hurle à la lune de ne plus pouvoir continuer ainsi. Et alors, Raphaël ajoutera :

Ne plus la voir, ne plus la sentir, exigerait d'abattre tout ce qui constitue la vie, et même pire... serais-tu prêt à éteindre toutes les lumières afin que disparaissent les ombres ?

Non ! Assurément, non !

Tout dépend de la façon dont on voit les choses, et la façon dont on administre le remède.

Il parle bien Raphaël tu ne trouves pas ? Mais revenons au présent.

Debout, les pieds sur la dalle de béton, il ouvre ses orteils en éventail, il bâille, s'étire et déplie ses ailes :

— Encore une belle journée.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant