Amandine, jeune femme aux yeux bleus, pense au Dôme, aux "bavardeurs", aux artifices du bonheur, aux mécas et à l'Ombre. Elle pense à sa mission secrète, elle pense à un ange. Elle dessine de jolies plumes blanches dans le dos d'un citoyen qu'elle vient de percuter. Elle pense aussi à cet ange qui, ayant perdu l'usage de ses ailes, serait condamné à rester sur terre. Ce serait tellement triste de rencontrer un ange qui ne pourrait plus voler. Des anges... de toute façon, elle n'en avait jamais vu, seulement dans les livres. Pareil pour les cerfs-volants. Les seules choses qui parcourent le ciel sont les méca-volants, comme celui qui vient tous les matins se poser devant sa fenêtre avant de s'envoler, elle l'espère, vers d'autres cieux. Elle regarde le citoyen s'éloigner. Il disparaît.
Peut-être est-il vraiment un ange...
Amandine baisse la tête et s'en retourne à sa propre ligne de marche qu'elle suit jusqu'à la bouche de métro. Elle descend, s'engouffre dans le tunnel, suit la cohorte de citoyens aux cols blancs, bleus ou noirs qui, comme elle, vont là où on les attend. Ici, l'atmosphère est pesante, lourde ; il fait chaud. Un courant d'air passe sur le quai. Amandine a froid. Elle remonte son col, croise les bras, ferme les yeux. Un sifflement se fait entendre. Il arrive bientôt. Le bruit s'accentue, ça freine. Derrière ses paupières, elle perçoit une lueur, elle s'intensifie en même temps que le chuintement approche. Une bande lumineuse entrecoupée de temps d'obscurité passe devant elle. Peu à peu, le rythme ralentit. Le bruit se tait. Les paupières s'ouvrent avec les portes. On sort. On entre, Amandine avec. Elle regarde sa montre : 7h41.
Autour des citoyens aux cols bleus, blancs ou noirs. Écouteurs sur les oreilles, les regards sont aspirés par les écrans collectifs ou individuels, les yeux fixent le vide, regardent sans rien voir. Les mains sur les claviers, on tapote pour discuter sans se parler ; on apprécie les publications sans rien aimer ; on relaie sans rien partager ; ce qui est proche, à côté, n'a jamais été, en ce lieu, aussi distant. Amandine regarde le même tableau, la même scène tous les matins. On se contraint à l'attente, on ne peut qu'attendre que cela recommence, encore et encore et encore. Le métro s'arrête, les portes s'ouvrent, on entre, on sort, les portes se referment, on redémarre, Amandine avec. Elle sortira dans quelques arrêts et l'on attend que l'on sorte et que l'on rentre, que l'on reparte et que l'on s'arrête, que le temps passe et passe et passe. Huit heures sonneront, précisément, lorsqu'Amandine arrivera à son bureau, tout est parfaitement réglé. D'ici là, le monde tourne avec la grande horloge.
Le rire strident d'un citoyen aux yeux rivés sur son écran attire l'attention. Les substances que l'on prend commencent à faire effet. Le rire continue tandis qu'un autre citoyen, un peu plus loin, semble marquer un tempo avec son pied. Une discussion entre deux citoyens arrive jusqu'à nos oreilles. Ils se disent qu'il fait beau aujourd'hui, l'un espère qu'il ne fera pas trop chaud, l'autre lui répond qu'il ne fera pas chaud, l'un dit que c'est tant mieux, l'autre demande si l'un a vu le Show hier soir, oui, répond l'un, c'était hilarant, c'est bien vrai, confirme l'autre, surtout quand le présentateur a donné une bonne leçon d'humilité à un des invités, oui, c'était drôle. C'était drôle... Humilité, un mot qui a fini par remplacer humiliation.
Ainsi, les habitants du Dôme se mettent progressivement à se parler, à se regarder et même à se sourire. D'ici que cela se généralise, la plupart sont à côté d'eux-mêmes. Tous semblent tristes. Tous sont gris, recouverts par l'Ombre.
L'Ombre... Amandine redoute qu'elle s'empare de son cœur et gribouille à l'encre de suie une fresque moribonde sur la feuille blanche de son histoire. Non ! Elle ne veut pas leur ressembler et à force de ne pas leur ressembler, la voilà seule, si seule au milieu de ceux qui ne lui ressemblent pas. Elle en pleurait quelques fois. L'unicité est une de ces beautés qui s'accompagne souvent de solitude. C'est une beauté que l'on désire et que l'on ne veut pas ; certains en finissent par médire la normalité, posant haut la valeur de leur différence, s'excluant pour ne pas se fondre et se perdre dans la masse, les avis, les opinions qu'on balance à la moindre occasion pour avoir raison, surtout pour donner tort.
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Une nuit parmi les étoiles [Roman]
Ciencia Ficción"Qu'importe que cela ait existé ou annonce ce qui existera, c'est une vérité dans laquelle tu es pris à partie. Tu ne peux y échapper, même si tu choisis de fermer le livre à cet instant. Fuir est une des solutions pour traiter ce qui nous dérange...