Une nuit parmi les étoiles [Roman]

Chapitre 30 - La pluie

Liquide, l'existence suit son cours. Ne pouvant résister à l'envie, elle sort parfois de son lit. En chemin, elle rencontre des obstacles, des barrages, et elle ralentit, en retenue, parfois stagnante ; ou elle accélère, en lâcher, parfois tourbillonnante. Il se peut que ce soit la chute, ou l'assèchement, ou alors la crue.

Et imprévisible, sans savoir ni « où » ni « quand », une goutte tombe sur le fil de l'eau. Jamais sous forme de larme, la bille choisit une cible avant que l'ondée se précipite, impacte l'existence, perturbe, se répande à la surface de la vie pour en soulever ce qui la compose. Voilà, une couronne s'élève autour du point d'impact ; le joyau émerge.

L'information ondule, les événements affluent pour mettre à l'épreuve la résistance des fins rebords de la couronne. Les événements veulent défaire l'improbable hasard, ils échouent, car personne ne se doute que c'est un rendez-vous. Et pendant un instant, plus rien de sombre ne perce la fine protection ; tout le bien est déjà là, au centre de la couronne ; tout le reste est à venir. La vie sort de son lit, franchit les obstacles sans s'y blesser, passe au travers ce qui l'empêche d'avancer, ralentit au bon moment, accélère quand il le faut, voit ce qu'il fallait voir, et chute, oui, nous chutons, pour atterrir sans le moindre mal, réceptionné de la plus belle des façons.

Voilà comment la chance nous tombe dessus, sans savoir ni « où » ni « quand », au croisement de ces deux miracles à ça-voir et saisir pour se placer en son centre, invincible derrière la couronne formée par une goutte de chance qui s'est précipitée sur le cours de notre vie.

Mais la chance est tombée à côté d'eux.

Eux, ces citoyens aux cols bleus, blancs ou noirs, écouteurs sur les oreilles, regards aspirés par les écrans collectifs ou individuels ; on écoute ce qu'on a envie d'entendre, on regarde qu'on a envie de voir. On rentre d'une rude journée, éreintante, on a plus d'énergie. À l'inverse, la journée a pu être bonne, plaisante, amusante et alors, on est prêt à se lancer dans d'autres activités. On se félicite que rien de mal ne se soit passé lorsque l'on est tenté de voir le verre à moitié vide. On se félicite que tout ce soit bien passé lorsque l'on préfère voir le verre à moitié plein. Ça dépend de l'humeur. On rentre chez soi ou va ailleurs. Parfois seul, parfois un collègue prend la même ligne que nous. Parfois, on croise quelqu'un qu'on connaît, alors on discute, on parle de ce qu'il s'est bien ou mal passé, du mal ou du bien qui se passera ensuite. Partout, il y a des gouttes de chance en suspension qui s'impatientent de pouvoir tomber sur le cours de l'existence. Et lorsqu'enfin elles se décident à tomber, trop souvent, on passe à côté. « Splash » c'est comme ça que ça fait. Ça éclabousse. Alors, on se détourne ; seul l'enfant rit et demande « Encore ! » tandis que personne ne voit la couronne qui se forme autour de deux citoyens.

Une publicité passe. Elle donne l'heure. Les aiguilles marquent dix-huit : le temps de se souvenir. Les événements commencent. Mais c'est ailleurs que les choses tournent ainsi. Dans le métro, au centre d'une couronne de chance, deux âmes brillent. Raphaël, que tu connais un peu mieux, est assis en face d'Amandine, que tu connais déjà. Elle lui a donné son nom, il lui donne le sien. Elle ne peut quitter ses yeux d'ébènes ; il ne peut s'arrêter de lui sourire. Une chance pour ces deux-là. Ils l'ont saisie, lui font honneur, ils en prennent soin. Ils se re-co-naissent en se parlant de tout et de rien, du plus important. Et le métro tourne dans le cadran de l'immense ville de béton. En rond, en boucle, il suit sa ligne de train dans un manège qui ne s'arrêtera pas. Peut-être ont-ils déjà fait plusieurs tours. Il faudra bien en sortir à un moment, quitter cette boucle qui ne mène à rien. Prenons celui-là ; l'arrêt n'évoque rien, pour sûr, on ne nous y attend pas ; pour sûr, tout nous y attend, et lorsque la voix l'annonce, on dit :