Chapitre 25 - Des nuances

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C'est le matin, un matin unique.

Raphaël est debout, il ferme les yeux. Les rayons du soleil, projetés sur lui, l'habillent de lumière. Il ouvre ses paumes, les met face aux rayons. Il ne bouge plus, se recharge, respire lentement. Il pourrait se rendormir ainsi, debout, mais un rendez-vous l'attend et surtout, l'idée qu'il avait semée avant de se coucher avait germée pendant la nuit, il la sent grandir, cela doit continuer.

Ses paupières s'ouvrent, enfin, pas vraiment, juste une seule, un peu, pas totalement, car en face de lui, à l'horizontale, le soleil du Dôme se tient rond, brûlant, aveuglant. Il détourne son visage et se dirige vers son armoire. Il l'ouvre, regarde ses habits, fronce les sourcils en se demandant quelle tenue il va bien pouvoir mettre aujourd'hui. Parmi les chemises bleues, il prend la troisième. Hier, il avait choisi la seconde, peut être que demain il prendra la première, qui sait ? Par contre, pour ce qui est de la veste et du pantalon, là, il ne peut laisser le hasard choisir à sa place. Il se saisit des vestes, une à une, pour les étendre sur le lit, face à la lumière. Puis, il prend un pantalon, le regarde, regarde les vestes, regarde le pantalon, regarde une nouvelle fois les vestes mises à plat avant de reconstituer les combinaisons de même teinte, ou du moins, s'y rapprochant.

C'est qu'il voit tant de nuances dans ces bleus, à croire que tout ce qu'on lui propose est dépareillé. Il a bien tenté de se plaindre de ça, mais on lui répondit que toutes les vestes et tous les pantalons étaient d'un même bleu. Il insista, dit que si, si, regardez bien à la lumière, mais on lui répondit que non, non, c'est la même couleur. Et pourtant, si, tous les bleus sont différents.

Raphaël ne peut s'empêcher, comme chaque matin, de marier les nuances entre elles, et trop souvent, elles formaient des couples imparfaits. Là, c'est un bleu comme la nuit ; ici, le bleu d'un soir d'orage ; à droite, c'est un bleu comme minuit ; à gauche, c'est le bleu avant la pluie. Cette dernière teinte est parfaite, le pantalon dérive un peu sur l'orage, mais qu'importe, c'est exactement ce dont a besoin Raphaël pour ce qu'il veut faire. Il enlève sa tenue de lumière pour se glisser dans celle de ce jour : la chemise bleu numéro 3, le pantalon bleu tirant sur l'orage et la veste bleue comme avant la pluie.

Se mettant face au soleil, il faillit lui demander « Comment tu me trouves ? », mais se ravise de l'importuner, il le laisse poursuivre sa route après l'aube, il y a encore tant de monde à saluer. Raphaël regarde par la fenêtre. Il respire. Une idée s'envole, une idée aussi nouvelle que ce jour est nouveau, une idée dont il ne peut mesurer, en cet instant, les conséquences. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Une voix le fait revenir à lui, elle lui rappelle que le temps passe, que l'on ne peut le retenir trop longtemps : " Bonjour citoyen, il est 6h55. N'oubliez pas de vous souvenir, les événements seront à la fête pour la fin de journée. Souvenez-vous avec Kodalyne, le rehausseur de goût pour sublimer la vie. L'heure vous est donnée par les usines Perficus, les producteurs de bonheur. Bonjour citoyen, il est 6h55 ".

Le refrain est le même depuis longtemps maintenant. Il se souvient qu'avant, il y a plus d'un cycle, c'était l'énergisante Alkalyne qui vous donnait l'heure. Raphaël se souvient parfaitement de ce slogan : "Pour que l'éveil dure vraiment plus longtemps, prenez une gorgée d'énergie avec Alkalyne, la boisson qui ouvre vos ailes." Il le reprenait en canon lorsqu'il l'entendait. Ces petits changements l'ont toujours amusé.

Après l'annonce, il quitte sa chambre. En son absence le lit sera refait, sa tenue de nuit remplacée par une nouvelle. Les chemises noires feront leur œuvre. Raphaël arrive dans la cuisine. Il ne retrouve ni Père ni Mère autour de la table à manger. Un seul verre, une seule assiette, un seul couvert y sont déposés. Le café est prêt, ne reste qu'à se servir. De l'énergisante est déjà dans son verre : il goûte, fait une grimace. Comme les autres matins, il verse le liquide verdâtre dans l'évier et comme tous les autres matins, il est déçu par ce goût infect qui semble ne pas vouloir changer. Il essaie pourtant, mais le produit vient lui anesthésier la langue. Il s'en était plaint aussi :

"Nous suivons les protocoles, le goût a été parfaitement calibré. Le substitut possible est le café."

— Vous n'auriez pas du lait plutôt ?

"Non, vous ne rentrez plus dans les standards pour la consommation de lactosérum, vous ne pouvez être livré qu'en méthylthéobromine."

— Mé... ?

" ...thylthéobromine"

— Ha ! Va pour le café-truc alors.

Le café, il l'aime pour son odeur, son goût franc, persistant, un peu amer certes. Il a appris à en apprécier l'arôme, l'acidité sur le bout de la langue, l'amertume au fond de la gorge, qui reste en bouche. La chaleur aussi, il aime cette boisson chaude, lui qui a si souvent froid. Il trempe son pain de vie dedans, mange. L'écran n'est pas allumé. C'est que voir de bon matin des gens plus en forme que lui a tendance à lui donner envie de se recoucher.

Comme tous les matins, le jeune homme prend son petit déjeuner. Et comme tous les matins, il regarde avec une minute de retard l'horloge accrochée en face de lui. Le temps volé le rattrape, il faut s'activer. Le morceau de pain est englouti, le café est bu d'une traite, le jeune homme se lève dans une légère grimace, file en courant à la porte, se retourne comme toujours en se disant qu'il devrait ranger, s'en détourne comme à chaque fois en se disant qu'il le fera ce soir. II ouvre la porte puis sort de chez lui.

Il est 7h16.

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant