Chapitre 49 - Une feuille qui n'est plus blanche

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Place !

Enlevez chaises et pupitres.

Balayez poussières, gravats et copeaux de bois.

Faite place et écoutez les Quatre Saisons*.

Et Voici le Printemps, que les oiseaux saluent d'un chant joyeux* auquel se mêlent le mouvement d'Amandine et le clair bruissement de l'eau.

Assis près du gramophone, Raphaël écoute et regarde la danseuse, au cœur de l'orchestre, qui chasse de ses bras tonnerres et éclairs afin qu'ils ne couvrent l'air de leur manteau noir. Les oisillons ainsi reviennent sous un ciel clair et reprennent leur chant mélodieux.

—   Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de te sentir comme emporté par une idée ?

Frôlant un pré fleuri, la voix d'Amandine s'ajoute au murmure des feuillages et de l'herbe, et parvient jusqu'à Raphaël :

—    En ce moment même, je suis emportée par une de ses pensées.

A contre sens de la grande horloge, la jeune femme toupille sur sa gauche, sous la lumière chaude de l'auditorium. Le jeune homme sourit, c'est ce genre d'envolée qu'il aime entendre :

—    Dis-moi, qu'est-ce qui te fait danser ainsi ?

Et voici l'été, la dure saison écrasée de soleil*. Amandine se languit en des mouvements plus amples, plus lourds aussi, quand elle accélère pour mêler son geste aux chants des tourterelles qui réveillent les corps endormis. Ils tendent l'oreille et entendent les vents s'approcher et qui, entre eux, cherchent querelle. Un orage est à craindre.

—    Si tu veux tout savoir, ma pensée entremêle les sons et les couleurs ; ouïe et vue, tous deux unies, indissociables.

Le corps cherche le repos, mais étouffe sous le poids de la chaleur et la noirceur du jour précédant l'orage. Sifflent et piquent les insectes n'offrant aucun repos aux corps exténués, ce qui n'empêche pas Amandine de continuer de danser et surtout de partager sa pensée :

—    Et si, au lieu d'entendre cette musique, nous étions en cet instant en mesure de la voir ? Plutôt que des notes, et si des couleurs jaillissaient de la machine ? Serait-ce réaliste au point qu'au plafond se dessine l'orage annoncé, sombre, noir ? Et les éclairs de frapper juste à côté en une explosion de lumière blanche avant de se démultiplier et inonder ce qui nous entoure ? Et la pluie de se précipiter, du bleu qui virevolte en rafales ? Serait-ce ainsi si nous pouvions voir ce que nous entendons ?

C'est la fin de l'Été. La musique s'arrête.

Sans répondre aux questions, Raphaël se lève, tourne le disque puis le remet, face B, sur la platine. Après plusieurs tours de manivelle, le mécanisme est prêt à être relancé. Du coin de l'œil, il remarque Amandine qui reprend son souffle. Il se tourne vers elle.

Qu'elle est belle !

*

Danse

Pour Amandine

***

Danse, danse ô ma danseuse,

Tourne, tourne, mais ne chavire pas,

De tes pieds nus, de ta peau soyeuse,

Tu frôles le sol et danses

jusqu'au trépas.

Le soleil te regarde,

tu t'enlaces

Une nuit parmi les étoiles [Roman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant