Les larmes répondent au signal de détresse. Elles viennent, affluent, se précipitent, elles se ruent telle une horde acculée qui, arrivant au bord du ravin, envisage le grand saut pour s'échapper. Les larmes se rapprochent du précipice. La première sent le danger : elle implore ses sœurs de faire demi-tour. Devant est la chute. Aucune des sœurs ne veut entendre, aucune ne veut voir ce qui va leur arriver. Il est déjà trop tard de toute façon, la première larme est poussée du haut de la falaise. Elle résiste de toutes ses forces, parvenant à s'accrocher à la paupière. Suspendue au-dessus du vide, elle sent le poids de ses sœurs qui vient s'ajouter au sien. Ne tenant plus qu'à un cil, elles s'accrochent les unes aux autres jusqu'à ce que leur masse accumulée les amène inévitablement à lâcher prise.
Une larme coule le long de la joue d'Amandine.
L'idée noire se fait plus présente, elle devient un instant réconfortante avant que l'esprit ne la rejette. La tête lui tourne, le cœur se noue, Amandine a envie de vomir. Précipitamment, elle se lève de son bureau et marche, tête baissée, en direction de la sortie. Elle quitte l'immense salle pour prendre le couloir qui mène à l'ascenseur. Sortir d'ici au plus vite. Elle veut accélérer le pas. Trop de monde, trop de gens, trop de regards et le groupe de cols blanc en train de rire en éclats sardoniques.
Elle a peur que le bleu de ses yeux ne soit aspiré par l'abime sans fond, dans les ténèbres des pupilles qui la fixent. Elle est prise de tremblement à l'idée de rester enfermée avec tous ces cols blancs dans l'ascenseur. Une montée d'angoisse lui donne des sueurs froides. Elle décide de prendre la porte secondaire et entreprend la descente des escaliers à toute vitesse. Ce sont 42 étages qu'elle dévale, marche après marche, sous les battements de son cœur, sous un rythme effréné, sous le chant d'une petite voix dans sa tête qui l'appelle, qui lui promet qu'elle n'a pas à s'inquiéter, qui lui promet qu'elle peut tout arranger.
Amandine chasse la mauvaise pensée. Le brouillard se fait pourtant plus sombre encore, plus pesant. L'idée noire revient. Amandine accélère, elle tourne dans une spirale infernale. L'Ombre plane au-dessus d'elle. La jeune femme court aussi vite qu'elle peut en descendant les marches deux par deux, manquant de se tordre la cheville. Elle descend jusqu'au rez-de-chaussée sans jamais ralentir. Elle ouvre avec fracas la porte de la cage d'escalier. Le hall du Centre est bondé. Elle passe au travers de la foule, bouscule, demande pardon, ne demande pas, elle se prend les pieds, manque de tomber, elle se rattrape, manque de faire tomber, elle avance, elle écarte, elle veut passer. Elle franchit l'immense porte d'entrée après avoir jeté à terre un col noir qui obstruait le passage. S'échapper, enfin.
Dehors, aucun réconfort. L'immense bâtiment de béton la surplombe, partout le gris la surplombe, partout l'Ombre est présente. Amandine fuit, elle poursuit sa course dans la rue. Aucune ligne de marche n'est prévue pour ça. Elle zigzague entre les citoyens du Dôme, cols blancs, bleus et noirs. Elle veut aller vite, toujours plus vite, elle s'enivre de vitesse pour oublier les pensées qui tournent dans sa tête. Elle murmure :
« Fais de la magie ! Fais de la magie ! »
Réciter cette incantation suffisait pour que son esprit colore le monde et l'emmène au sourire. Mais là, rien. Elle a épuisé toute son énergie. La petite voix lui tend la main, elle lui dit de venir, elle l'attend de l'autre côté.
Tentation.
Un instant, le bras est levé pour saisir cette possibilité. Mais le corps le rappelle et se lance dans une course éperdue pour aller il ne sait où, mais loin, très loin d'ici, et jamais de l'autre côté ; jamais...
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Une nuit parmi les étoiles [Roman]
Ciencia Ficción"Qu'importe que cela ait existé ou annonce ce qui existera, c'est une vérité dans laquelle tu es pris à partie. Tu ne peux y échapper, même si tu choisis de fermer le livre à cet instant. Fuir est une des solutions pour traiter ce qui nous dérange...